FdT Avril | Page 41

Au lendemain de la révolution, Emna Mnif cofonde le parti Afek Tounes, de tendance socio-libérale. Quelques mois plus tard et juste après les élections de l’Assemblée nationale constituante, la porte-parole annonce sa démission. C’est dans ce contexte politico-social que les Tunisiens découvrent cette militante, professeur de médecine et chef du service de radiologie de l’hôpital Rabta. On l’aura accusée d’être franc-maçonne, opportuniste ou encore avide de pouvoir. Lorsque Emna Mnif crée le mouvement citoyen Kolna Tounes en décembre 2011, les plus critiques disent que ce n’est qu’une manœuvre de plus pour détourner de son échec au sein d’Afek Tounes et qu’elle transformerait le mouvement en parti politique le moment venu. Mais trois ans plus tard, le mouvement n’a pas changé de vocation. Il accomplit de nombreuses actions en faveur des régions défavorisées, dont la dernière en date s’intitule «Kolna Hirfa» (Nous sommes tous un métier artisan) en rapport avec l’artisanat, l’entrepreneuriat et la création d’emploi. Femmes de Tunisie a rencontré Emna Mnif pour en savoir davantage sur le projet Kolna Hirfa et pour faire le point sur son parcours politique et social. Femmes de Tunisie: Plus de 3 ans après avoir quitté la politique et entamé un parcours de militante au sein de la société civile, quel bilan faites-vous de ces deux expériences? Emna Mnif: Sur le plan personnel, ces deux expériences ont été complémentaires dans la construction de mon cheminement mental. Elles m’ont apporté de la maturité, de la lucidité, une expérience du terrain, une meilleure connaissance de ses réalités, et m’ont permis de construire une vision cohérente des alternatives possibles. J’ai abordé ces expériences comme une quête de Vérité et la volonté d’être un acteur dans l’espace public. Je n’ai pas été déçue. Des regrets par rapport à l’un ou l’autre? Les regrets ne viennent pas du parcours lui-même mais tiennent au constat que les lignes n’ont pas beaucoup bougé. J’observe une reproduction des mêmes modèles, de la même façon d’appréhender le pouvoir, les problèmes de société et les solutions aux nombreuses difficultés que connaît le pays. On assiste, impuissant, au triomphe du conservatisme politique et économique, marqué d’un déni de révolution, et qui conduit implacablement vers une phase de Restauration. Que pensez-vous de la société civile postélections 2014? Elle a été au rendez-vous et à la hauteur durant les années qui ont suivi la révolution. Cependant, je crois qu’il y a une certaine désillusion après les dernières élections et une certaine démobilisation. La société civile est actuellement appelée à être efficace dans la durée, à se structurer et à se professionnaliser. Ce qui nécessite des sources de financement importantes et transparentes qui lui garantissent une totale indépendance. Il est nécessaire de clarifier la création d’un portefeuille chargé de la société civile qui devrait, à mon sens, permettre d’établir un authentique partenariat entre l’Etat et la société civile et lui offrir des possibilités de financement public basé sur des appels à projets et des objectifs clairement définis. Et de la classe politique? Le paysage politique est encore en mouvement. Les partis politiques de la famille démocratique progressiste n’ont pas réussi à affirmer leur identité propre, n’ont pas su réformer la pensée politique et l’innover; ils n’envoient pas de message fort aux citoyens pour les faire adhérer à la vie publique et rétablir la confiance dans l’action politique. Il y a eu un grand désenchantement après les élections, qui ne me surprend pas. Les partis politiques au pouvoir n’ont clairement pas de vrai programme de gouvernement à la mesure de la situation d’urgence et de crise du pays. La famille politique de gauche n’est pas structurée et n’a pas de propositions fortes pour incarner une vraie alternative au pouvoir. Nous assistons à une sorte de léthargie, sans mesures fortes ni dynamique affichée. C’est pourtant le moment d’impulser de grandes réformes et un nouveau départ pour un pays en friche, économiquement exsangue et socialement en décomposition. Parlez-nous du projet Kolna Herfa: pourquoi l’artisanat? Comment s’est opéré le choix des gouvernorats et des délégations concernés? Nous avons saisi l’opportunité d’un appel à projets de l’Organisation internationale des migrations et de l’Union européenne pour l’exécuter. Les délégations choisies étaient conformes à cet appel à projets, et cela tombait bien. Nous avions déjà relevé la richesse patrimoniale matérielle et immatérielle de différents gouvernorats du Nord-Ouest (Jendouba, Kef et Siliana) et fait des actions de valorisation de ce patrimoine à même d’être une source de richesse et un mécanisme de relance économique. Kolna Hirfa vise à développer le savoir-faire ancestral des femmes rurales et l’esprit d’entrepreneuriat chez de jeunes diplômés chômeurs, à les accompagner dans la création de leur entreprise et à valoriser les spécificités patrimoniales et culturelles locales des délégations concernées: Fernana, Aïn Draham et Oued Mliz (Jendouba), Nebeur, Sakiet Sidi Youssef et Kalaa Khasba (Kef ), Rouhia, Kesra et El Aroussa (Siliana). Nous avons pour objectif de créer des entreprises solidaires, alliant les compétences de femmes artisanes et transformatrices de produits issus de l’agriculture, privées de sources de revenus, et de jeunes diplômés chômeurs qui auront bénéficié d’une formation dans la création de projets et l’innovation, leur permettant d’assurer un premier cycle de production et de commercialisation. Kolna Hirfa a permis de créer 39 emplois au profit de 36 artisanes et 3 jeunes diplômés organisés en 4 entreprises solidaires, 9 ateliers de production et un espace de vente en cours d’aménagement à Tabarka. Par quels mots pouvez-vous décrire la femme rurale tunisienne en 2015? Fière, elle sait intuitivem