Au lendemain de la révolution, Emna Mnif
cofonde le parti Afek Tounes, de tendance
socio-libérale. Quelques mois plus tard et
juste après les élections de l’Assemblée
nationale constituante, la porte-parole
annonce sa démission. C’est dans ce
contexte politico-social que les Tunisiens
découvrent cette militante, professeur de
médecine et chef du service de radiologie
de l’hôpital Rabta.
On l’aura accusée d’être franc-maçonne,
opportuniste ou encore avide de pouvoir.
Lorsque Emna Mnif crée le mouvement
citoyen Kolna Tounes en décembre
2011, les plus critiques disent que ce n’est
qu’une manœuvre de plus pour détourner de son échec au sein d’Afek Tounes
et qu’elle transformerait le mouvement
en parti politique le moment venu. Mais
trois ans plus tard, le mouvement n’a pas changé
de vocation. Il accomplit de nombreuses actions
en faveur des régions défavorisées, dont la dernière
en date s’intitule «Kolna Hirfa» (Nous sommes
tous un métier artisan) en rapport avec l’artisanat,
l’entrepreneuriat et la création d’emploi. Femmes
de Tunisie a rencontré Emna Mnif pour en savoir
davantage sur le projet Kolna Hirfa et pour faire
le point sur son parcours politique et social.
Femmes de Tunisie: Plus de 3 ans après
avoir quitté la politique et entamé un
parcours de militante au sein de la société
civile, quel bilan faites-vous de ces deux
expériences?
Emna Mnif: Sur le plan personnel, ces deux
expériences ont été complémentaires dans la
construction de mon cheminement mental. Elles
m’ont apporté de la maturité, de la lucidité, une
expérience du terrain, une meilleure connaissance
de ses réalités, et m’ont permis de construire
une vision cohérente des alternatives possibles.
J’ai abordé ces expériences comme une quête de
Vérité et la volonté d’être un acteur dans l’espace
public. Je n’ai pas été déçue.
Des regrets par rapport à l’un ou l’autre?
Les regrets ne viennent pas du parcours lui-même
mais tiennent au constat que les lignes n’ont pas
beaucoup bougé. J’observe une reproduction
des mêmes modèles, de la même façon d’appréhender le pouvoir, les problèmes de société et les
solutions aux nombreuses difficultés que connaît
le pays. On assiste, impuissant, au triomphe du
conservatisme politique et économique, marqué
d’un déni de révolution, et qui conduit implacablement vers une phase de Restauration.
Que pensez-vous de la société civile postélections 2014?
Elle a été au rendez-vous et à la hauteur durant
les années qui ont suivi la révolution. Cependant,
je crois qu’il y a une certaine désillusion après les
dernières élections et une certaine démobilisation. La société civile est actuellement appelée à
être efficace dans la durée, à se structurer et à se
professionnaliser. Ce qui nécessite des sources de
financement importantes et transparentes qui lui
garantissent une totale indépendance.
Il est nécessaire de clarifier la création d’un portefeuille chargé de la société civile qui devrait, à
mon sens, permettre d’établir un authentique
partenariat entre l’Etat et la société civile et lui
offrir des possibilités de financement public basé
sur des appels à projets et des objectifs clairement
définis.
Et de la classe politique?
Le paysage politique est encore en mouvement.
Les partis politiques de la famille démocratique
progressiste n’ont pas réussi à affirmer leur identité propre, n’ont pas su réformer la pensée politique et l’innover; ils n’envoient pas de message
fort aux citoyens pour les faire adhérer à la vie
publique et rétablir la confiance dans l’action politique. Il y a eu un grand désenchantement après
les élections, qui ne me surprend pas. Les partis
politiques au pouvoir n’ont clairement pas de vrai
programme de gouvernement à la mesure de la
situation d’urgence et de crise du pays. La famille
politique de gauche n’est pas structurée et n’a pas
de propositions fortes pour incarner une vraie
alternative au pouvoir. Nous assistons à une sorte
de léthargie, sans mesures fortes ni dynamique
affichée. C’est pourtant le moment d’impulser
de grandes réformes et un nouveau départ pour
un pays en friche, économiquement exsangue et
socialement en décomposition.
Parlez-nous du projet Kolna
Herfa: pourquoi l’artisanat?
Comment s’est opéré le choix des
gouvernorats et des délégations
concernés?
Nous avons saisi l’opportunité d’un
appel à projets de l’Organisation
internationale des migrations et de
l’Union européenne pour l’exécuter.
Les délégations choisies étaient conformes à cet
appel à projets, et cela tombait bien. Nous avions
déjà relevé la richesse patrimoniale matérielle
et immatérielle de différents gouvernorats du
Nord-Ouest (Jendouba, Kef et Siliana) et fait des
actions de valorisation de ce patrimoine à même
d’être une source de richesse et un mécanisme de
relance économique.
Kolna Hirfa vise à développer le savoir-faire
ancestral des femmes rurales et l’esprit d’entrepreneuriat chez de jeunes diplômés chômeurs, à
les accompagner dans la création de leur entreprise et à valoriser les spécificités patrimoniales
et culturelles locales des délégations concernées:
Fernana, Aïn Draham et Oued Mliz (Jendouba),
Nebeur, Sakiet Sidi Youssef et Kalaa Khasba
(Kef ), Rouhia, Kesra et El Aroussa (Siliana).
Nous avons pour objectif de créer des entreprises
solidaires, alliant les compétences de femmes
artisanes et transformatrices de produits issus de
l’agriculture, privées de sources de revenus, et de
jeunes diplômés chômeurs qui auront bénéficié
d’une formation dans la création de projets et
l’innovation, leur permettant d’assurer un premier cycle de production et de commercialisation.
Kolna Hirfa a permis de créer 39 emplois au profit de 36 artisanes et 3 jeunes diplômés organisés
en 4 entreprises solidaires, 9 ateliers de production et un espace de vente en cours d’aménagement à Tabarka.
Par quels mots pouvez-vous décrire la
femme rurale tunisienne en 2015?
Fière, elle sait intuitivem