Je suppose qu’ils ne croyaient pas tous à
cette histoire. Mais un doute devait persister
car personne ou presque ne se risquait à
nager. Tous venaient entre amis ou en famille
admirer le lieu sans s’y baigner. Petit à petit,
je comprenais que toutes les choses ici
étaient potentiellement habitées. Les objets,
les bêtes, les corps. Rien n’était innocent.
Mais personne n’était tout à fait libre non
plus. La vigueur de ces histoires racontées
leur conférait un pouvoir immense, celui de
faire persister des habitudes, mais aussi de
faire ciller un instant l’éclat des certitudes
établies. Après tout, cette terre m’était
étrangère, comment savoir de quoi l’ombre
et l’invisible étaient peuplés ici-bas ?
Dans ce pays, on ne bâtit pas pour des
siècles non, mais on s’applique pour la
grâce éphémère. À l’image du dimanche
– jour saint où petits et grands revêtent
costumes et robes éclatantes assortis de
souliers impeccables – certains évènements
de l’année font l’objet d’un soin et d’un
dévouement particuliers. Pendant la période
du Carême précédant la très attendue fête
de Pâques, on peut encore voir dans les zones
urbaines et parfois en campagne des cerfsvolants bariolés narguer le ciel, leurs queues
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