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RECHERCHE [ SUITE ] RECHERCHE [ SUITE ] INTÉGRER LE MODÈLE FEAR-AVOIDANCE DANS L’APPROCHE DE LA DOULEUR DES ERGOTHÉRAPEUTES INTÉGRER LE MODÈLE FEAR-AVOIDANCE DANS L’APPROCHE DE LA DOULEUR DES ERGOTHÉRAPEUTES inévitablement un impact négatif sur toutes les sphères de sa vie et si son seul remède est de diminuer sa participation dans ses occupations. De ce fait, la combinaison de ces facteurs peut non seulement contribuer à augmenter l’expérience de la douleur via le déconditionnement physique et l’attention portée à la douleur (hypervigilance), mais aussi augmenter les chances de développer des pathologies d’ordre psychologique (ex. : dépression, anxiété) (Crombez, Eccleston, Van Damme, Vlaeyen et Karoly, 2012; Leeuw et coll., 2007). Naturellement, puisque la douleur est un signal biologique puissant (capte notre attention, modifie notre comportement pour prévenir de plus grands dommages et favoriser la guérison), le faire taire est plus facile à dire qu’à faire. Dans certains cas de DC, il est important que la personne comprenne ce qu’est sa douleur et puisse recalibrer le message perçu pour induire des changements fonctionnels positifs et durables. Le FAM supporte l’idée qu’en éduquant les sujets et autres personnes/sphères importantes dans la vie de l’individu et qu’en exposant ces sujets gr aduellement à leurs mouvements/activités anxiogènes, il est possible de reprogrammer ce message et ultimement, de briser le cercle vicieux pour retrouver un plus haut niveau de fonctionnement et une meilleure qualité de vie (Leeuw et coll., 2007). POPULATION La population ciblée par le GExp présente un haut niveau de peur relié aux mouvements, mesuré par le Tampa Scale of Kinesiophobia - TSK (Kori, Miller et Todd, 1990), avec un résultat ≥ 40 points. À ce jour, l’approche a été étudiée auprès des DC non spécifiques provenant du rachis, de la fibromyalgie ainsi que d’autres conditions spécifiques à l’épaule, au genou et pour le Syndrome Régional Douloureux Complexe type 1 (de Jong, 2010; Leeuw et coll., 2007 ; Vlaeyen et Linton, 2012 ; Rainville et coll., 2011). Cependant, GExp reste encore à être validé pour d’autres parties du corps et conditions chroniques liées au système musculo-squelettique (Crombez et coll. 2012). Les critères d’exclusion pour participer à l’approche sont la présence d’une cause physique connue de la douleur (ex. : cauda equina, cancer, fracture), d'une grossesse, d'une problématique d’abus d’alcool ou de drogue, d’illettrisme ou de conditions psychopathologiques (ex.: schizophrénie) 08 mesurées par le Symptom Checklist ou SCL-90 (Derogatis, 1975) (Vlaeyen, De Jong, Onghena, Kerckhoffs-Hanssen et Kole-Snijders, 2002). LE PROTOCOLE L’approche utilise les mouvements qui sont requis au quotidien chez le client pour les expositions subséquentes. Pour ce faire, il doit d’abord classer quelques dizaines d’activités de la vie quotidienne créant de la peur et les placer sur une échelle numérique analogique (Photograph Series of Daily Activities – PHODA (Leeuw, Goossens, van Breukelen, Boersma et Vlaeyen, 2007)) allant du moins au plus anxiogène. Cette activité fournit au clinicien un meilleur aperçu de l’étendue du handicap vécu par la personne en plus de lui donner des idées pour orienter les traitements à venir. Ceci permet d’augmenter l’efficacité du traitement et de demeurer centré sur la personne (Vlaeyen, De Jong, Onghena, Kerckhoffs-Hanssen et Kole-Snijders, 2002; de Jong, 2010). Bien que certains outils ne soient pas nécessairement mentionnés dans les recherches, quelques-uns, comme la Mesure Canadienne du Rendement Occupationnel¹ (Law et coll., 2005), le Pain Catastrophizing Scale² (Sullivan, Bishop et Pivik, 1995) et le Beck Depression Index³ (Beck, Ward, Mendelson, Mock et Erbaugh, 1961) furent utilisés au plan clinique. L’éducation ensuite fournie est importante puisqu’elle permet de motiver le sujet en plus de créer une meilleure compréhension et adhésion à la philosophie de traitement. Concrètement, il s’agit de reprendre l’histoire « douloureuse » du client et d’expliquer les processus de développement de la douleur chronique à travers le FAM : le rôle de l’attention, de l’évitement, de l’hypersensibilité et du déconditionnement. Le paradoxe des méthodes utilisées jusqu’ici par le client est ainsi mis en relief afin de lui offrir une nouvelle vision de la douleur et aussi redéfinir ce concept comme une condition pouvant être autogérée et non catastrophique. À noter que les [suite page 10] ¹ Pour les niveaux de performance et de satisfaction perçus ² Pour mesurer les cognitions altérées ³ Pour mesurer le niveau de détresse psychologique Erg-go! REVUE DES ERGOTHÉRAPEUTES DU QUÉBEC AUTOMNE 2016_NO.9 points expliqués lors de cette séance seront inévitablement souvent réitérés lors des séances subséquentes. Il est aussi crucial d’impliquer toute personne signifiante (ex.: employeur, assurances, époux, autres) afin de limiter au maximum les croyances culturellement intégrées de la douleur. Ceci est fait pour éviter l‘impact négatif potentiel qu’un environnement socio-culturel (maison, boulot, cercle d’amis) inadéquat pourrait avoir sur la réadaptation, puisque le client retourne à domicile (Crombez, Eccleston, Van Damme, Vlaeyen et Karoly, 2012; Vlaeyen, De Jong, Onghena, Kerckhoffs-Hanssen et Kole-Snijders, 2002). Il a été démontré qu’une seule séance d’éducation sur la douleur avait le potentiel de diminuer les douleurs liées aux peurs, aux pensées catastrophiques et ainsi de contribuer à briser le cercle vicieux créé par la peur (Vlaeyen, De Jong, Onghena, Kerckhoffs-Hanssen et Kole-Snijders, 2002; de Jong, 2010). La littérature montre aussi qu’une seule séance éducative visant l’explication des mécanismes neurophysiologiques de la douleur peut induire des effets positifs immédiats au plan des mauvaises croyances et peurs, ce qui influence le fonctionnement de la personne et sa qualité de vie (de Jong, 2010). Les changements positifs au plan du système nerveux central restent encore à être investigués (Pelletier, Higgins et Bourbonnais, 2015). À noter que ce type d’éducation est différent d’une intervention de type ergonomique (adaptation de poste de travail, économie de dos ou back schools en anglais). En effet, selon le FAM, il est important de diminuer l’attention sur la douleur et plutôt encourager le fonctionnement (ex. : être capable de faire l’activité malgré la douleur). L’intervention typique d’économie de dos pourrait engendrer une attention démesurée sur l’endroit affecté chez les populations DC (Pelletier, Higgins et Bourbonnais, 2015), ce qui est contre la philosophie GExp (Vlaeyen, De Jong, Onghena, Kerckhoffs-Hanssen et Kole-Snijders, 2002; Leeuw et coll., 2007). Cependant, même si la séance d’éducation peut apporter son lot de gains, elle n’est pas assez puissante pour généraliser des changements positifs de manière durable (de Jong, 2010). Ce dernier affirme qu’un comportement mésadapté demeurera lors de l’exposition à une situation anxiogène quand bien même que le sujet réalise que ses pensées et comportements sont irrationnels. Ceci peut être expliqué comme une manière spontanée et affective d’agir en lien avec la douleur, sans penser aux aspects positifs /négatifs de l’action (implicit attitudes en anglais). Ainsi, un sujet peut réaliser que ses pensées et comportements sont irrationnels (explicit attitudes en anglais), sans pour autant que le comportement mésadapté change lorsqu’une situation anxiogène se présente (ex. : mouvement perçu comme dangereux). C’est ainsi que les personnes sont amenées à être exposées aux activités et mouvements anxiogènes. À noter que l’un des éléments les plus difficiles à accomplir est de réécrire le message primitif de la douleur : le comportement protecteur qui nous indique quoi faire en situation de douleur aiguë (ex. : retirer notre main d’un objet chaud). Or, il existe certains types de DC où ce comportement a amplifié le problème et le sujet doit comprendre cela. Ainsi, l’objectif premier de ces expositions est de faire comprendre au client qu’il est en mesure de compléter les tâches anxiogènes malgré la douleur. Ceci est fait en confrontant ses pensées avec ses capacités actuelles à travers l’exposition d’activités graduées. Puisque le mélange de peurs, anxiété, pensées altérées et comportements mésadaptés a potentiellement contribué au développement de la DC chez cette population, il est important d’intervenir sur ces derniers pour induire des changements positifs, durables et généralisables. C’est ainsi que la TCC est utilisée pour redéfinir les cognitions négatives associées avec la douleur, démontrer un comportement sain et confronter la crédibilité des pensées catastrophiques. Le deuxième but est d’encourager le participant à bouger et accomplir ses activités malgré la présence de douleur. La douleur ou la peur sont fréquemment rapportées et c’est à ce moment qu’il est important de réitérer les éléments de la séance d’éducation en lien avec leur interprétation de ce qu’est la douleur et/ou de confronter les pensées et cognitions en lien avec ces peurs/douleurs. À noter qu’il est fréquent que ce type de population soit déconditionné et que [suite page 10] Erg-go! REVUE DES ERGOTHÉRAPEUTES DU QUÉBEC AUTOMNE 2016_NO.9 09