Ensemble intercontemporain 2015-16 musical season Brochure de saison 2015-2016 | Page 71
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Le texte de Beckett met en scène une allégorie de la musique et soumet au compositeur, par les didascalies, un certain
nombre de « suggestions » : une musiquevisage, une musique d’amour, une musique-présent. Savez-vous comment vous
allez traiter ces indications ?
Samuel Beckett suivait attentivement le
traitement de ses pièces théâtrales : leur
mise en scène, bien sûr, mais aussi la façon
dont les indications seraient utilisées par le
metteur en scène ou les acteurs. Lorsqu’on
travaille sur ses textes, on se doit de rester
fidèle à ce qui est écrit. Cependant, il y a
des marges d’interprétation. Par exemple,
que peut bien vouloir dire l’indication
« musique de vieillesse » ? Je peux choisir de la représenter par un glissando de
l’aigu vers le grave à l’intérieur du groupe
des cordes, ou bien par un accord, très
sombre, qui se répète sans cesse dans le
grave. Et de même, que signifie « musique
d’amour » ? Cela peut être un élément
assez rhétorique, qui fait référence à un
texte ou à une musique déjà connue, ou
bien une idée tout à fait nouvelle et même
paradoxale, dont on n’imaginerait jamais
qu’elle correspondrait à la notion d’amour.
Il y a donc une grande marge de liberté
pour le compositeur et il en existe d’ailleurs plusieurs versions. La première a été
mise en musique par le cousin de Beckett
(John Beckett), puis l’auteur a commandé
une nouvelle partition à Humphrey Searle,
et enfin il y a eu la composition de Morton
Feldman. Ces trois versions, qui sont
considérablement différentes, soulignent
déjà que la marge d’interprétation pour
le personnage de Music est immense. En
réalité, Beckett n’a nullement la prétention de donner des indications esthétiques
à la musique. On pourrait même dire que,
pour la première fois – chose extraordinaire –, il renonce à écrire un personnage.
Ses indications contribuent essentiellement à établir l’arc formel de la pièce.
Globalement, cette pièce comprend beaucoup d’éléments musicaux, tant au niveau
du texte qui est dit par les acteurs, qu’au
niveau des indications pour la musique : il
y a des reprises, des variations, des redon-
dances… Donc, lorsque je compose cette
pièce, je me considère moi-même comme
le personnage de Music. Music, ça ne peut
être que moi. Music, c’est à la fois l’écriture musicale et la façon dont je perçois
le texte, cette histoire qui présente des
caractéristiques typiques de Beckett : le
rapport entre patron et servant (et ici, il y
a deux servants), la difficulté de mettre en
relation les différents éléments de l’esprit
créatif – Music et Words ne vont pas très
bien ensemble.
Précisément, comment allez-vous envisager ce clivage ? Cherchez-vous à l’accentuer ? Ou bien travaillez-vous à un
espace commun, où la parole se mettrait
à chanter, et la musique à parler ?
Oui, il y aura cet espace commun, mais les
deux auront sans doute du mal à s’exprimer avec les phonèmes et le langage de
l’autre. Music aura peut-être des difficultés à chuchoter, n’arrivera peut-être pas à
s