édition spéciale mars 2015 | Page 6

6 Des ordres de plus en plus absurdes! Jusqu’ici, vous avez pu décider librement à chaque votation. Vous avez eu le droit d’être pour ou contre l’initiative anti-minarets? Vous avez pu dire oui ou non au renvoi des criminels étrangers. Vous avez pu vous dire favorable ou pas à l’internement à vie des criminels sexuels dangereux sans thérapie efficace. C’est votre droit. Mais pour combien de temps encore? tantes qui nous concernent nous est contesté d’en haut. Yves Nidegger, conseiller national, Genève (GE) Sur chaque objet soumis au vote des citoyens, il existe des arguments pour et des arguments contre. Chacun a le droit d’exprimer son point de vue quel qu’il soit. Mais des arguments contre le fait de voter, en démocratie, il n’y en a pas. Et pourtant, le droit à la démocratie directe, qui fait l’identité et la prospérité de la Suisse, est aujourd’hui en danger. Notre droit de décider nous-mêmes des questions impor- La démocratie directe comme frein aux dérives C’est de nous citoyens et citoyennes qu’émanent les pouvoirs de l’État. Le droit à des votations populaires nous permet de faire entendre notre voix et d’aborder les questions qui comptent avec plus de nuances: les sujets soumis à votations populaires font l’objet de discussions à large échelle, parfois tendues, mais qui ont le mérite d’éclairer le sujet. Les votations populaires ont aussi le mérite de mettre au jour les divergences d’opinions entre les politiciens et leurs électeurs. Il n’est pas rare que les citoyens prennent des décisions différentes désavouant ceux qu’ils ont chargé de les représenter au Parlement. Et en cas de divergence entre les politiques et ceux qui les élisent, il est sain que ce soit le peuple qui ait le dernier mot. Immixtions impensables de la CEDH Instituée au départ pour préserver et étendre la démocratie dans une Europe qui ne la connaissait guère (la Grèce, le Portugal et l’Espagne étaient encore des dictatures militaires, toute l’Europe centrale et Orientale des dictatures socialistes), la Cour européenne des droits de l’homme en est arrivé, par de curieuses évolutions jurisprudentielles, à se retourner contre la démocratie directe en Suisse ! Les arrêts de la Cour sont allés de plus en plus loin, entamant la souveraineté populaire de la Suisse en statuant d’autorité dans des domaines qui n’étaient pas prévus du tout au moment de la signature. Les critiques sont nombreuses et pas seulement en Suisse : Angela Merkel et David Cameron ont attaqué de façon virulente les juges de la CEDH pour s’être donnés à eux-mêmes des compétences exorbitantes. Si certains arrêts restent corrects, la Cour a récemment condamné la norme antiraciste suisse que l’UDC a toujours qualifiée de «loi muselière», de nombreux autres arrêts atterrissent à mille lieues de tout bon sens. Certains sont commentés ci-dessous. Arrêts choquants de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) à Strasbourg : Politique d’asile sapée ( Tarakhel v. Switzerland, 29217 / 12 ) La CEDH a statué le 14 novembre 2014 dans l’affaire T. que la Suisse n’avait pas le droit de renvoyer une famille afghane en Italie (du moins pas tant que l’Italie n’aurait pas donné à la Suisse des garanties que la famille serait hébergée dans de bonnes conditions en Italie), alors même que la famille avait déposé sa première demande d’asile en Italie et que l’Accord de Dublin prévoit précisément un tel renvoi dans le pays de premier asile. La décision a été rendue par la Grande Chambre à 17 juges. Criminels protégés contre le renvoi (Udeh c. Suisse, 12020 / 09) Dans un arrêt du 16 avril 2013, la CEDH a dérivé du droit à la protection de la vie familiale (art. 8 CEDH) que la condamnation à une peine privative de liberté de plusieurs années et une dépendance des services sociaux ne constituaient pas un motif suffisant pour renvoyer un étranger ainsi séparé de ses enfants. En 2001, le Nigérian est entré en Suisse sous une fausse identité et y a déposé une demande d’asile, refusée. Il a ensuite quitté la Suisse. En 2003, il est à nouveau entré sur le territoire, avec l’intention d’épouser une citoyenne suisse. Le couple a eu des jumeaux. Trois ans plus tard, U. a été arrêté en Allemagne, alors qu’il tentait d’importer de la cocaïne, et condamné à 42 mois de prison. Après avoir purgé sa peine, U. est revenu en Suisse auprès de sa famille. Le couple a divorcé. U. est resté en Suisse et a eu un troisième enfant en 2012. Sa nouvelle partenaire est Suissesse. Le Tribunal fédéral a refusé en 2009 l’octroi d’un permis d’établissement, compte tenu du comportement délinquant d’U. et de sa dépendance de l’aide sociale. Le 16 avril 2013, les juges de Strasbourg ont tranché par 5 voix contre 2 en faveur d’U. La Suisse a demandé à la Cour européenne un nouvel examen par sa Grande Chambre. Cette dernière a cependant refusé de statuer. L’arrêt est donc définitif. Les autorités suisses doivent payer 9’000 euros de dépens au demandeur. Prise en charge des frais de changement de sexe ( affaire Schlumpf c. Suisse, 29002 / 06) De l’avis de la CEDH, les droits de l’homme incluent le droit de se faire payer un changement de sexe par l’assurance de base obligatoire en Suisse (arrêt CEDH du 8 janvier 2009 ; violation de l’art. 8 CEDH, tranché à 5 voix contre 2). Un trafiquant de drogue peut rester en Suisse ( ATF 139 I 16 ss ) X. (né en 1987) est originaire de Macédoine. Il est entré en Suisse en novembre 1994 dans le cadre d’un regroupement familial et il a obtenu par la suite un permis d’établissement. En juin 2010, il a été condamné à 18 mois d’emprisonnement avec sursis pour violation qualifiée de la loi sur les stupéfiants. Le tribunal a retenu que l’homme avait, sans se trouver en situation de détresse, participé à un trafic de stupéfiants organisé, et en particulier à un projet de distribution d’un kilo d’héroïne. L’Office des migrations du canton de Thurgovie a retiré le permis d’établissement de X. et prononcé son renvoi. X. a recouru sans succès au niveau cantonal. Le Tribunal fédéral, influencé par la jurisprudence de la CEDH, a toutefois admis le recours en matière de droit public le 12 octobre 2012 et annulé la décision du Tribunal cantonal thurgovien du 14 septembre 2011, avec pour résultat que X. peut rester en Suisse. Le Tribunal fédéral n’a tenu aucun compte du fait que le peuple suisse avait accepté l’initiative sur le renvoi le 28 novembre 2010. Impact et conséquences de ces arrêts • La Constitution fédérale ne peut être appliquée et interprétée que dans les limites imposées par le droit international. • Le droit international, même non impératif, passe avant la Constitution fédérale et les lois fédérales. Même le Tribunal fédéral a cédé la souveraineté juridique de la Suisse et transféré la responsabilité de l’ordre juridique suisse au droit international et aux tribunaux internationaux. Cette évolution porte une atteinte massive à l’exercice de la démocratie directe. Les droits de l’homme, élément central de la Constitution suisse La Suisse garantit déjà depuis longtemps dans sa Constitution les droits de l’homme et les droits fondamentaux. L’initiative pour l’autodétermination n’a rien d’une attaque contre ceux-ci, au contraire. Le but de l’initiative pour l’autodétermination est de les protéger contre les juges suisses qui, contrairement aux juges de Strasbourg et du Luxemburg, sont familiers de la situation suisse et connaissent la valeur de notre ordre juridique démocratique. On oublie vite que tous les droits de l’homme ancrés dans le droit international sont consacrés par la Constitution suisse sous la dénomination «droits fondamentaux» et qu’une partie d’entre eux est complétée dans les constitutions cantonales. La Convention pour la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH), conclue le 4 novembre 1950, et entrée en vigueur pour la Suisse le 28  novembre 1974, contient un catalogue de droits de l’homme et libertés fondamentales pouvant être invoqués par la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg (CEDH), mais qui, s’agissant de leur contenu, ne vont pas plus loin que les droits fondamentaux de notre Constitution suisse, comme l’illustre le tableau suivant: Dans la nouvelle Constitution fédérale du 18 avril 1999, tous les droits fondamentaux sont énoncés expressément aux articles 7 – 34 : Art. 7: Art. 8: Art. 9: Dignité humaine Egalité Protection contre l’arbitraire et protection de la bonne foi Art. 10: Droit à la vie et liberté personnelle Art. 11: Protection des enfants et des jeunes Art. 12: Droit d’obtenir de l’aide dans des situations de détresse Art. 13: Protection de la sphère privée Art. 14: Droit au mariage et à la famille Art. 15: Liberté de conscience et de croyance Art. 16: Libertés d’opinion et d’information Art. 17: Liberté des médias Art. 18: Liberté de la langue Art. 19: Droit à un enseignement de base Art. 20: Liberté de la science Art. 21: Liberté de l’art Art. 22: Liberté de réunion Art. 23: Liberté d’association Art. 24: Liberté d’établissement Art. 25: Protection contre l’expulsion, l’extradition et le refoulement Art. 26: Garantie de la propriété Art. 27: Liberté économique Art. 28: Liberté syndicale Art. 29: Garanties générales de procédure Art. 29a: Garantie de l’accès au juge Art. 30: Garanties de procédure judiciaire Art. 31: Privation de liberté Art. 32: Procédure pénale Art. 33: Droit de pétition Art. 34: Droits politiques L’initiative pour l’autodétermination renforce les droits de l’homme La Suisse garantit les droits de l’homme indépendamment de l’adhésion à la CEDH, mais aussi aux traités des Nations-Unies (en particulier les Pactes I et II de l’ONU). Elle va même plus loin s’agissant du contenu. L’initiative pour l’autodétermination s’engage en faveur du respect des droits de l’homme et a confiance dans le fait que le système juridique suisse les respecte. On peine à percevoir pourquoi des juges étrangers protégeraient mieux les droits de l’homme que nos juges suprêmes. L’initiative pour l’autodétermination doit donc être comprise comme une preuve de confiance en notre système juridique. Politisation outrancière des droits de l’homme On ne saurait oublier dans ce contexte que les droits de l’homme et les droits fondamentaux peuvent être restreints. Tant la CEDH que notre Constitution fédérale le précise. En effet, même dans le domaine des droits de l’homme et des droits fondamentaux, il n’y a pas de droits sans devoirs. Chaque droit de l’homme ou droit fondamental est contrebalancé par des intérêts légitimes d’autres personnes ou de la société. Les victimes d’actes de violences ont ainsi elles aussi des droits fondamentaux, les auteurs ne sont pas les seuls à pouvoir s’en prévaloir. Certes, une expulsion du territoire peut porter atteinte au droit d’un délinquant à sa vie privée et familiale, mais la victime et la société ont aussi un droit fondamental au respect de l’intégrité physique et à une protection contre des actes délictueux futurs de l’auteur. Malheureusement, la protection des victimes et la sécurité de la population passent toujours plus souvent au second plan dans le débat sur les droits Droits de l’homme et libertés fondamentales selon la CEDH : Art. 2: Droit à la vie Art. 3: Interdiction de la torture Art. 4: Interdiction de l’esclavage et du travail forcé Art. 5: Droit à la liberté et à la sûreté Art. 6: Droit à un procès équitable Art. 7: Pas de peine sans loi Art. 8: Droit au respect de la vie privée et familiale Art. 9: Liberté de pensée, de conscience et de religion Art. 10: Liberté d’expression Art. 11: Liberté de réunion et d’association Art. 12: Droit au mariage Art. 13: Droit à un recours effectif Art. 14: Interdiction de discrimination fondamentaux. Il existe par exemple un droit à la liberté de religion, mais une religion peut être inconciliable avec nos valeurs et notre ordre juridique, qu’en est-il alors des droits de l’homme des autres personnes? Il existe à certaines conditions un droit fondamental à l’aide sociale. Mais qu’en est-il alors des droits des personnes qui, malgré les difficultés, se débrouillent ellesmêmes et qui doivent supporter par leurs impôts le poids financier de l’aide sociale? Ce sont là des questions délicates. Elles montrent que, même dans le domaine des droits de l’homme, on touche à des  questions politiques, lesquelles doivent être tranchées par le Parlement, le peuple et les cantons, et non par un petit groupe de fonctionnaires, experts et juges étrangers, qui n’ont pas été élus démocratiquement et qui ne sont soumis à aucun contrôle ni n’assument aucune responsabilité. Cour européenne des droits de l’homme