on devient poussière, des particules balayées par le vent. » Les bourreaux acquiescent en silence, le regard perdu dans le vide. Un mélange de honte et d ' humilité se fait ressentir. L ' un des bourreaux répond au peintre « A cette époque j ' étais jeune, je ne pensais pas si loin. On me disait de faire, je faisais. D ' emmener tuer, je le faisais. Du moment que j ' obéissais à l ' Angkar. Aujourd ' hui, quand j ' y réfléchis, c ' était contraire à la loi. J ' ai honte de moi. Quand je pense à ça, j ' ai mal à la tête. Alors, quand on vient me chercher pour boire et manger, je me saoule, je rentre et je dors. »
A plusieurs reprises j’ ai été touchée par la naïveté de certains. Les bourreaux du S21 n ' étaient que des enfants lorsqu ' ils ont été endoctrinés pour devenir des machines à tuer. C ' est l ' un d ' entre eux qui ouvre le film de Rithy Panh, scène tournée dans sa famille, dans laquelle il explique à sa mère les raisons de sa participation au film, et exprime clairement la honte qu ' il éprouve à avoir participé au massacre. Dans The Act of Killing il y a quelque chose d’ incompréhensible et de monstrueux à se retrouver face à cette superposition entre la mort mise en scène et la mort réelle. La mort dans un temps du cinéma est l ' inverse de ce qu ' est la mort dans le temps du réel. Le cinéma est d ' ailleurs contre la mort puisque l’ entreprise du cinéma était d’ imiter le mouvement de la vie, de ressusciter les corps et les rendre éternels. 5 Cette superposition de la réalité de la mort dans son contexte historique et de la représentation de la mort dans la fiction produit quelque chose de très fort. Le gouvernement indonésien utilise la mise en scène consciemment alors que les exécutants obéissent, plus ou moins conscients de la portée de ces meurtres, probablement aidés et séduits par ce parallèle au cinéma. Ce pourquoi certains manifestent des remords sur ce qu’ ils ont fait, en venant à se sentir malade pendant la mise en scène des tortures pendant le tournage de leur film *, contrairement aux membres du gouvernement les mieux placés qui eux se montrent menaçants lorsque leur responsabilité dans le massacre est évoquée( plutôt vu dans The look of Silence, deuxième film
6 page 459 de Comolli Jean-Louis, Voir et Pouvoir- L’ innocence perdue: cinéma, télévision, fiction, documentaire,
2004
* Voir CD
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