la mémoire » à François Niney 4 car elle me semble très adaptée, mais pas exactement dans le sens qu ' il lui donne. Dans son essai L ' épreuve du réel à l ' écran il parle de cette élaboration de narration paradoxale, une narration d ' aujourd ' hui mais avec des morceaux du passé. Dans S21, La Machine de mort Khmère rouge, les faits, les souvenirs et les témoins sont entrecoupés avec les traces que le temps a laissé dans l ' espace pour venir « panser et repenser une réalité jugée trop vite oubliée » 4. Je trouve interessante cette question du jugement parce que l ' Histoire a donné lieu à de nombreux procès. Le théâtre de la mémoire devient ici un théâtre de la justice dans le sens où il reconstitue des faits, appel à des témoignages pour produire un état des lieux. C ' est cette justice morale qui est recherchée et que l ' on attend à la fin des films de Joshua Oppenheimer ou de Rithy Panh, qui sont chargés de cette responsabilité de mémoire. Se raconter des histoires n ' est à priori pas compatible avec la gravité de l ' Histoire qui réclame un jugement impartial et objectif. Pourtant la beauté révélatrice présente dans ces deux films revenant sur l ' Histoire ne réside pas dans ce besoin d ' objectivité. Au contraire. J ' en ai déjà parlé pour The Act of Killing et S21, La Machine de mort Khmère rouge utilise également la narration non pas comme mise à distance mais au contraire comme lien à la réalité. Par exemple, il y a ce rôle cathartique de la peinture qui m ' a particulièrement touché. Elle intervient comme une fenêtre ouverte sur un souvenir. Les souvenirs du peintre Vann Nath, survivant du massacre grâce à ses peintures( ironie du sort) qui plaisaient beaucoup aux dirigeants des Khmères rouges. « Je suis plutôt mauvais peintre et c’ est ce qui m’ a sauvé. Tous les bons peintres se sont faits assassinés. »* La peinture devient aussi actrice dans la confrontation pacifiste entre les ex bourreaux et les victimes. Van Nath l’ utilise comme médiatrice entre lui et ses bourreaux. Elle est littéralement prise à parti et vient témoigner des atrocités que le peintre a subi durant son incarcération.* Ce qui est indicible pour Van Nath, tant la violence de ce qu ' il a vécu lui semble évidente et douloureuse, se dit à travers ses peintures. Cette scène est littéralement une scène
4 Niney François, L’ épreuve du réel à l’ écran: essai sur le principe de réalité documentaire, 2002
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