se raconter des histoires
Même si le titre de cette partie paraît léger, ce qu’ il veut soulever l’ est beaucoup moins. 1965 en Indonésie, un million de personnes trouvent la mort suite à la répression conduite par les milices de Nahdatul Ulama et du Parti National Indonésien contre le Parti Communiste. En 2004 le réalisateur Joshua Oppenheimer se rend sur place pour réaliser un documentaire sur ce massacre et se confronte au silence des survivants encore sous pression de ce même gouvernement toujours au pouvoir. Naît alors The Act of Killing, film documentaire, qui prend le parti pris radical de s ' intéresser aux bourreaux de ce massacre. Certains d’ entre eux, protégés par le pouvoir corrompu, se livrent en toute liberté, simulant pour les besoins d’ un film de propagande les tortures et meurtres qu’ ils avaient commis face à la caméra. Des moments du tournage de ce film de propagande est lui même filmé par Joshua Oppenheimer. The Act of Killing « met en scène », c’ est le cas de le dire, principalement Anwar Congo et Adi Zulkadry, des voyous comme ils se qualifient eux-mêmes, à qui l’ armée a confié les exécutions. Regarder The Act of Killing c’ est accepter de passer deux heures en compagnie de tortionnaires dont la présence au monde semble bel et bien avoir été perdue à jamais. Présence au monde si lointaine déjà pour eux qu’ ils se cachent derrière un voile de fiction assez opaque pour osciller entre grotesque et obscène. Complètement fascinés par l’ archétype du gangster représenté dans les films de Martin Scorsese ou de Francis Ford Coppola, certains sont très soucieux de leur élégance, travaillant leur « style de gangster ».* Et ce style ils ne le perdent sous aucun prétexte, pas même pendant leur séance de torture trouvant des méthodes pour tuer « sans se tacher ». Les tortionnaires jouent un rôle de tortionnaires en se mettant euxmêmes en scène et en rejouant les actes réellement commis auparavant: « La vie de ces gangsters, c’ est du cinéma, mais pour eux le cinéma est réel. » 2 La confusion entre l’ assassin et l’ acteur est quelque chose d’ impensable. C’ est un sentiment
* Voir CD extrait n ° 2
2 Vincent Ostria, The Act of Killing – L’ acte de tuer, article dans Les Inrocks, 2013
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