séléctions POTEMKINE
Date de sortie : 7 mars 2017 ( 1h14 ) De : Mauro Herce Genre : Documentaire Nationalité : Espagnole
DEAD SLOW AHEAD ( 2016 ) de Mauro Herce
Dès les premiers plans , on pense à La mélodie du monde ( 1929 ) de Walter Ruttmann ou même au Koyaanisqatsi ( 1982 ) de Godfrey Reggio : une symphonie visuelle aux allures de film-monde . Sons et images se mêlent pour un résultat qui s ’ apparente à un véritable album de musique ambient , avec cette capacité à nous faire perdre les notions d ’ espace et de temps . Au bout du compte , si Brian Eno faisait du cinéma , cela ressemblerait peut-être à ce Dead Slow Ahead dont le titre lui même évoque une lenteur hypnotique . En effet , ce documentaire est une sorte de poème visuel postindustriel subjugué par ce monstre mécanique qu ’ est le cargo Fair Lady , prouesse architecturale dans laquelle les hommes errent comme des présences spectrales , eux mêmes semblant si insignifiants face à cet engin colossal perdu au milieu d ’ une immensité encore plus terrassante . Pourtant , certains plans pourraient être issus de pas mal de films vus ces dernières années ( The Forgotten Space ( 2010 ) d ’ Allan Sekula et Noël Burch , Leviathan ( 2012 ) de Lucien Castaing-Taylor et Véréna Paravel , Exotica , Erotica , etc . ( 2015 ) d ’ Evangelia Kranioti ) et le périple en cargo n ’ est pas si original que cela , c ’ est bien le travail sur la matière sonore et le regard porté sur l ’ environnement qui fait de ce long de Mauro Herce une expérience unique . Tout comme l ’ équipage , nous voguons dans une forme d ’ inconscience , simples rouages dont chaque action semble si anodine , car qui sommes nous face à l ’ immensité du monde , ces cieux insondables et cet océan infini ? Les conversations téléphoniques d ’ une grande banalité entre les hommes et leurs familles qui les attendent relèvent là aussi d ’ un absurde tragique et appuient une forme d ’ insignifiance de notre passage sur terre . Nous sommes tous déjà des fantômes dans cet univers , et le terme “ dead ” ( les morts ) du titre peut être pris au sens littéral . Herce a parlé lui même d ’ une expérience terminale : “ filmer le dernier navire de l ’ espèce humaine ”. Alors , malgré la froideur des plans , l ’ émotion pointe dans ce décor qui pourrait être aussi bien futuriste qu ’ obsolète . L ’ équipage philippin devient une humanité en errance , ombres mouvantes et aliénées . Qu ’ est-ce qui les a menés à avoir ce genre de vie ? Nous ne le saurons jamais . Ils semblent aller vers un naufrage dans ces espaces qu ’ ils traversent mais qu ’ ils ne peuvent pas habiter . Condamnés comme nous le sommes tous , leurs portraits font déjà d ’ eux des défunts . Dead Slow Ahead nous laisse face à la force métaphysique du silence et du vide , en l ’ orchestrant jusqu ’ à créer sa symphonie de l ’ indicible . ( ML )
Ressortie en salles dans une version restaurée par David Lynch : le 31 mai 2017
Date de sortie : rentrée 2017 ( 1h29 ) De : David Lynch Avec : Jack Nance , Charlotte Stewart Genre : Horreur , Expérimental Nationalité : Américaine
ERASERHEAD ( 1977 ) de David Lynch - version restaurée
D ’ ores et déjà annoncé comme un des grands événements cinématographiques de l ’ année 2017 , la ressortie en salles par Potemkine de la version restaurée d ’ Eraserhead est un vrai cadeau - prévue pour le printemps et en double programme avec le documentaire sur David Lynch , The Art Life , dès le 15 février . Œuvre mythique qui a longtemps tourné dans le milieu des Midnight Movies , ce premier - et meilleur - film de David Lynch était aussi le préféré de Stanley Kubrick . Et pour cause , il reste d ’ une beauté formelle presque indépassable . Parfois associé au genre body horror , pièce maîtresse de la culture post-punk , industrielle et cold wave de la fin des années 1970 , l ’ influence de ce poème visuel a été phénoménale . De Combat Shock à Tetsuo , on en trouve des traces partout , sans parler du morceau composé par Peter Ivers , « In Heaven », qui a été repris des dizaines et des dizaines de fois . Commencé en 1971 , le tournage s ’ étalera sur six années . Inspiré par l ’ environnement industriel de la ville de Philadelphie , Eraserhead répond surtout à la logique onirique , ou plutôt cauchemardesque . Un homme aux cheveux électriques doit s ’ occuper de sa progéniture monstrueuse dans un décor déprimant . Surréalisme , symbolisme sexuel et horrifique et sound design immersif , le film peut se prêter à toutes formes d ’ interprétations . Certains y virent une matérialisation des angoisses de la paternité . D ’ autres y ont perçu le parcours d ’ un homme introverti qui se confronte à son inconscient pour ne plus être un personnage passif . Lynch livre assez de clés narratives pour donner à son métrage une force émotionnelle unique . Les effets spéciaux ( les rumeurs continuent d ’ aller bon train sur l ’ origine du bébé ), la complexité de la bande-son ( une symphonie dark ambient / industrielle superbe ), les personnages comme issus d ’ un freakshow ( ah la dame du radiateur , et ces vieux airs d ’ orgue réverbérés évoquant un croisement entre le Freaks de Tod Browing et le Carnival of Souls de Herk Harvey …) et les délires sexuels hallucinés ( la séquence chez les beaux-parents , les spermatozoïdes écrasés …) se teintent d ’ une mélancolie toujours plus grande face à ce personnage aliéné qui échappe au monde par le rêve . C ’ est profondément triste et tellement magistral qu ’ aucune des œuvres suivantes du maître de l ’ étrange n ’ atteindra cette excellence . ( ML )
192 ATYPEEK MAG # 02 JANV ./ FEV ./ MARS 2017
séléctions POTEMKINE
Date de sortie :
7 mars 2017
(1h14)
De : Mauro Herce
Genre :
Documentaire
Nationalité :
Espagnole
DEAD SLOW AHEAD (2016)
de Mauro Herce
Dès les premiers plans, on pense à La mélodie du monde
(1929) de Walter Ruttmann ou même au Koyaanisqatsi
(1982) de Godfrey Reggio : une symphonie visuelle
aux allures de film-monde. Sons et images se mêlent
pour un résultat qui s’apparente à un véritable album
de musique ambient, avec cette capacité à nous faire
perdre les notions d’espace et de temps. Au bout du
compte, si Brian Eno faisait du cinéma, cela ressem-
blerait peut-être à ce Dead Slow Ahead dont le titre
lui même évoque une lenteur hypnotique. En effet, ce
documentaire est une sorte de poème visuel postin-
dustriel subjugué par ce monstre mécanique qu’est le
cargo Fair Lady, prouesse architecturale dans laquelle
les hommes errent comme des présences spectrales,
eux mêmes semblant si insignifiants face à cet engin
colossal perdu au milieu d’une immensité encore plus
Ressortie en salles dans
une version restaurée par
David Lynch : le 31 mai 2017
Date de sortie :
rentrée 2017 (1h29)
De : David Lynch
Avec : Jack Nance,
Charlotte Stewart
Genre :
Horreur,
Expérimental
Nationalité :
Américaine
ERASERHEAD (1977)
de David Lynch - version restaurée
D’ores et déjà annoncé comme un des grands
événements cinématographiques de l’année 2017,
la ressortie en salles par Potemkine de la version
restaurée d’Eraserhead est un vrai cadeau - prévue
pour le printemps et en double programme avec le
192
ATYPEEK MAG #02
JANV./FEV./MARS 2017
terrassante. Pourtant, certains plans pourraient être
issus de pas mal de films vus ces dernières années
( The Forgotten Space (2010) d’Allan Sekula et Noël
Burch, Leviathan (2012) de Lucien Castaing-Taylor et
Véréna Paravel, Exotica, Erotica, etc. (2015) d’Evangelia
Kranioti ) et le périple en cargo n’est pas si original
que cela, c’est bien le travail sur la matière sonore
et le regard porté sur l’environnement qui fait de ce
long de Mauro Herce une expérience unique. Tout
comme l’équipage, nous voguons dans une forme
d’inconscience, simples rouages dont chaque action
semble si anodine, car qui sommes nous face à
l’immensité du monde, ces cieux insondables et cet
océan infini ? Les conversations téléphoniques d’une
grande banalité entre les hommes et leurs familles
qui les attendent relèvent là aussi d’un absurde
tragique et appuient une forme d’insignifiance de notre passage sur terre. Nous sommes tous déjà des
fantômes dans cet univers, et le terme “dead” (les
morts) du titre peut être pris au sens littéral. Herce
a parlé lui même d’une expérience terminale : “filmer
le dernier navire de l’espèce humaine”. Alors, malgré
la froideur des plans, l’émotion pointe dans ce décor
qui pourrait être aussi bien futuriste qu’obsolète.
L’équipage philippin devient une humanité en errance,
ombres mouvantes et aliénées. Qu’est-ce qui les a
menés à avoir ce genre de vie ? Nous ne le saurons
jamais. Ils semblent aller vers un naufrage dans ces
espaces qu’ils traversent mais qu’ils ne peuvent pas
habiter. Condamnés comme nous le sommes tous,
leurs portraits font déjà d’eux des défunts. Dead Slow
Ahead nous laisse face à la force métaphysique du
silence et du vide, en l’orchestrant jusqu’à créer sa
symphonie de l’indicible. (ML)
documentaire sur David Lynch, The Art Life, dès le
15 février. Œuvre mythique qui a longtemps tourné
dans le milieu des Midnight Movies, ce premier - et
meilleur - film de David Lynch était aussi le préféré
de Stanley Kubrick. Et pour cause, il reste d’une
beauté formelle presque indépassable. Parfois
associé au genre body horror, pièce maîtresse de
la culture post-punk, industrielle et cold wave de la
fin des années 1970, l’influence de ce poème visuel
a été phénoménale. De Combat Shock à Tetsuo,
on en trouve des traces partout, sans parler du
morceau composé par Peter Ivers, « In Heaven »,
qui a été repris des dizaines et des dizaines de fois.
Commencé en 1971, le tournage s’étalera sur six
années. Inspiré par l’environnement industriel de
la ville de Philadelphie, Eraserhead répond surtout
à la logique onirique, ou plutôt cauchemardesque.
Un homme aux cheveux électriques doit s’occuper
de sa progéniture monstrueuse dans un décor dépri-
mant. Surréalisme, symbolisme sexuel et horrifique
et sound design immersif, le film peut se prêter à toutes formes d’interprétations. Certains y virent
une matérialisation des angoisses de la paternité.
D’autres y ont perçu le parcours d’un homme
introverti qui se confronte à son inconscient pour
ne plus être un personnage passif. Lynch livre assez
de clés narratives pour donner à son métrage une
force émotionnelle unique. Les effets spéciaux (les
rumeurs continuent d’aller bon train sur l’origine
du b�