Article par :
Apparemment , nous n ’ avons pas encore bien compris la nature de l ’ intelligence . Ensuite même si nous créons une intelligence artificielle ( et cela viendra ), il faudrait que ses besoins la fasse entrer en compétition avec nous , qu ’ elle lutte pour la maîtrise de notre niche écologique . Pourquoi serait-ce le cas ? Elle n ’ a pas besoin de nourriture , d ’ espace vital , ni même d ’ eau ou d ’ oxygène . Au pire , je crois que cette intelligence supérieure s ’ en irait dans l ’ espace et nous foutrait la paix .
Ce qui est excitant dans l ’ IA ? C ’ est peut-être justement que nous allons développer des intelligences Totalement Autres . De véritables aliens , vivant dans un milieu étranger , peut-être entièrement digital , avec des besoins , une structure mentale complètement différents … La taille de l ’ univers et la vitesse de la lumière étant ce qu ’ elles sont , il ne sera peut-être jamais possible de discuter avec de véritables extraterrestres . Alors la perspective de pouvoir communiquer avec des entités “ faites maison ”, voire aller jusqu ’ à développer avec elles une relation symbiotique , me paraît une perspective tout à fait excitante , beaucoup plus intéressante à envisager que les spéculations ultrapessimistes sur notre obsolescence finale , ou naïvement optimistes sur l ’ IA-papa noël , chantée par certains extropiens …
Comme tout observateur qui se respecte , tu évites de livrer des pronostics en conclusion de ton livre . J ’ apprécierais pourtant que tu te livres , pour conclure cette interview , à un petit exercice de prospective en nous parlant des évolutions technologiques , sociales et culturelles que tu pressens pour les vingt ou trente années qui vont suivre …
C ’ est effectivement très difficile ! On ne peut s ’ empêcher , lorsqu ’ on se livre à ce genre d ’ exercice , de penser à la prédiction des experts qui affirmaient qu ’ une dizaine d ’ ordinateurs ( de la puissance d ’ une petite calculette d ’ aujourd ’ hui ) suffirait à couvrir la surface des États-Unis … Tout d ’ abord , je ne crois pas en une « fin de l ’ histoire », optimiste ou pessimiste . Certains extropiens pensent que nous nous dirigeons vers la « singularité », un moment au cours duquel l ’ accélération accélérante du progrès technologique nous précipitera brutalement dans
© DR
un ailleurs posthumain , sur lequel nous ne pouvons pas dire grand-chose . Je n ’ y crois guère . Pour moi , l ’ histoire va continuer , mais il va falloir s ’ habituer à cet environnement extrêmement fluctuant . Il est probable que notre capacité d ’ action sur le cerveau va aller en en s ’ accroissant . Évidemment , cela fait un peu peur , on pense tout de suite à Big Brother et aux applications du neuromarketing , mais cela peut aussi impliquer un pouvoir accru de l ’ individu . Il y aura certainement des conflits dans ce domaine . Jusqu ’ ici , les « drogues » ont toujours eu une action très globale , peu contrôlable ; parfois , leur véritable effet reste incertain , comme les fameuses « smart drugs ». Mais on devrait bientôt réduire cette imprécision . À ces solutions chimiques , on peut ajouter la connexion directe entre le cerveau et la machine , ainsi qu ’ une réalité virtuelle très sophistiquée . Imagine pouvoir redéfinir complètement ta personnalité par un cocktail de drogues … tu vivras ensuite ta nouvelle identité dans un environnement ad hoc , peut-être totalement différent de notre milieu terrestre .
Évidemment , dans ces conditions , la définition du moi , déjà fortement mise à mal ces derniers temps par les médias électroniques , devrait devenir plus floue , encore plus imprécise . Non seulement nous serons en mesure de nous autocréer , mais nous pouvons aussi chercher à devenir légion , à adopter des personnalités multiples . Dans son fascinant livre Aristoï , l ’ écrivain de science-fiction Walter Jon Williams imagine que les humains du futur seront capables de vivre en contact avec des « personnalités artificielles », en fait des portions de notre propre conscience possédant une certaine autonomie et amplifiées par des banques de données et des algorithmes d ’ intelligence artificielle implantés dans le cerveau .
“ Imagine pouvoir redéfinir complètement ta personnalité par un cocktail de drogues …
C ’ est une vision de la dissolution de notre identité encore plus fascinante que celle offerte par un moi perpétuellement changeant . C ’ est aussi l ’ aboutissement des pratiques des magiciens du chaos , qui fabriquent des « esprits familiers », des « serviteurs », à partir de leur propre inconscient . Ceux qu ’ ils font aujourd ’ hui au niveau de la métaphore , du jeu , pourrait devenir bien plus réel . Peut-être que les aliens de demain existeront , non pas sous la forme de purs programmes informatiques , mais comme des hybrides reposant pour une bonne part sur les ressources de notre cerveau . Dans tous les cas , je ne sais pas si on parlera de « post-humanité », au cas où de telles choses se produisaient , mais notre conception de la psychologie , de la société , de la culture risque de s ’ en trouver profondément altérée .
La Spirale - Découvrez plus d ’ articles sur : www . laspirale . org
ATYPEEK MAG # 02 JANV ./ FEV ./ MARS 2017 157
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Apparemment, nous n’avons pas encore bien compris la
nature de l’intelligence. Ensuite même si nous créons une
intelligence artificielle (et cela viendra), il faudrait que ses
besoins la fasse entrer en compétition avec nous, qu’elle
lutte pour la maîtrise de notre niche écologique. Pourquoi
serait-ce le cas ? Elle n’a pas besoin de nourriture, d’espace
vital, ni même d’eau ou d’oxygène. Au pire, je crois que
cette intelligence supérieure s’en irait dans l’espace et
nous foutrait la paix.
Ce qui est excitant dans l’IA ? C’est peut-être juste-
ment que nous allons développer des intelligences Totale-
ment Autres. De véritables aliens, vivant dans un milieu
étranger, peut-être entièrement digital, avec des besoins,
une structure mentale complètement différents… La taille
de l’univers et la vitesse de la lumière étant ce qu’elles
sont, il ne sera peut-être jamais possible de discuter avec
de véritables extraterrestres. Alors la perspective de pouvoir
communiquer avec des entités “faites maison”, voire aller
jusqu’à développer avec elles une relation symbiotique,
me paraît une perspective tout à fait excitante, beaucoup
plus intéressante à envisager que les spéculations ultra-
pessimistes sur notre obsolescence finale, ou naïvement
optimistes sur l’IA-papa noël, chantée par certains extropiens…
Comme tout observateur qui se respecte, tu évites de livrer
des pronostics en conclusion de ton livre. J’apprécierais
pourtant que tu te livres, pour conclure cette interview,
à un petit exercice de prospective en nous parlant des
évolutions technologiques, sociales et culturelles que tu
pressens pour les vingt ou trente années qui vont suivre…
C’est effectivement très difficile ! On ne peut
s’empêcher, lorsqu’on se livre à ce genre d’exercice, de
penser à la prédiction des experts qui affirmaient qu’une
dizaine d’ordinateurs (de la puissance d’une petite cal-
culette d’aujourd’hui) suffirait à couvrir la surface des
États-Unis… Tout d’abord, je ne crois pas en une « fin de
l’histoire », optimiste ou pessimiste. Certains extropiens
pensent que nous nous dirigeons vers la « singularité »,
un moment au cours duquel l’accélération accélérante du
progrès technologique nous précipitera brutalement dans
“Imagine pouvoir
redéfinir
complètement
ta personnalité par
un cocktail de
drogues…
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un ailleurs posthumain, sur lequel nous ne pouvons pas
dire grand-chose. Je n’y crois guère. Pour moi, l’histoire va
continuer, mais il va falloir s’habituer à cet environnement
extrêmement fluctuant. Il est probable que notre capacité
d’action sur le cerveau va aller en en s’accroissant. Évidem-
ment, cela fait un peu peur, on pense tout de suite à Big
Brother et aux applications du neuromarketing, mais cela
peut aussi impliquer un pouvoir accru de l’individu. Il y
aura certainement des conflits dans ce domaine. Jusqu’ici,
les « drogues » ont toujours eu une action très globale,
peu contrôlable ; parfois, leur véritable effet reste incertain,
comme les fameuses « smart drugs ». Mais on devrait bi-
entôt réduire cette imprécision. À ces solutions chimiques,
on peut ajouter la connexion directe entre le cerveau et la
machine, ainsi qu’une réalité virtuelle très sophistiquée.
Imagine pouvoir redéfinir complètement ta personnalité
par un cocktail de drogues… tu vivras ensuite ta nouvelle
identité dans un environnement ad hoc, peut-être totale-
ment différent de notre milieu terrestre.
Évidemment, dans ces conditions, la définition du
moi, déjà fortement mise à mal ces derniers temps par les
médias électroniques, devrait devenir plus floue, encore
plus imprécise. Non seulement nous serons en mesure de
nous autocréer, mais nous pouvons aussi chercher à devenir
légion, à adopter des personnalités multiples. Dans son
fascinant livre Aristoï, l’écrivain de science-fiction Walter Jon
Williams imagine que les humains du futur seront capables
de vivre en contact avec des « personnalités artificielles »,
en fait des portions de notre propre conscience possédant
une certaine autonomie et amplifiées par des banques
de données et des algorithmes d’intelligence artificielle
implantés dans le cerveau.
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C’est une vision de la dis-
solution de notre identité encore
plus fascinante que celle offerte par
un moi perpétuellement changeant.
C’est aussi l’aboutissement des
pratiques des magiciens du chaos,
qui fabriquent des « esprits fami-
liers », des « serviteurs », à partir
de leur propre inconscient. Ceux
qu’ils font aujourd’hui au niveau
de la métaphore, du jeu, pourrait
devenir bien plus réel. Peut-être
que les aliens de demain existeront,
non pas sous la forme de purs
programmes informatiques, mais
comme des hybrides reposant pour
une bonne part sur les ressources
de notre cerveau. Dans tous les
cas, je ne sais pas si on parlera de
« post-humanité », au cas où de
telles choses se produisaient, mais
notre conception de la psychologie,
de la société, de la culture risque de
s’en trouver profondément altérée.
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