154 ATYPEEK MAG # 02 JANV./ FEV./ MARS 2017
Spock ou les divinités d’ un jeu vidéo comme Morrowind. Le magicien contemporain, ne croit plus, il affecte de croire, il expérimente sur la croyance.
Naturellement, le bon vieil occultisme continue sa route, avec le new age( la énième réincarnation de la théosophie) ou le traditionalisme réactionnaire d’ un Guénon ou d’ un Evola, très prisé en France. Ce n’ est pourtant pas là, à mon avis, que les choses les plus intéressantes se passent.
Parmi les différents courants de pensée cités dans ce livre, lesquels te semblent véritablement porteurs des germes d’ une nouvelle forme d’ humanité?
Les mouvements présentés dans le bouquin sont surtout des « monstres prometteurs », des mutations intéressantes qui annoncent les changements à venir, sans pour autant en faire partie. En revanche, je pense que ces groupements sont riches d’ enseignements parce qu’ ils élaborent, chacun à leur manière, les principes fondamentaux qui gouverneront les cultures de demain, et peut-être les nouvelles formes d’ humanité. Chacune de ces tendances a apporté une nouvelle pierre au moulin.
Les psychédélistes, les hippies nous ont fait comprendre que la perception de la réalité dépend avant tout de la structure de notre cerveau. Les adeptes de la cyberculture nous ont montré de leur côté que l’ altération de cette dernière pouvait être obtenue par la création de nouvelles interfaces, par le contrôle de l’ écran, comme dirait Leary.
Les transhumanistes, eux, nous apprennent à penser l’ intelligence sur le long terme, à travers une multitude de formes possibles, loin de tout chauvinisme anthropomorphique ou même biologique. Quant aux magiciens chaotiques, ils expriment très bien la nécessité, dans un monde hypercomplexe, de recourir à l’ absurde, à l’ imaginaire, à l’ aléatoire pour briser les certitudes trop bien établies.
Toutes ces idées sont intéressantes, appelées pour moi à un véritable avenir. Maintenant les courants qui les portent ont aussi leurs limites et une bonne part de naïveté.
Franchement, je doute que les drogues psychédéliques nous fassent réellement pénétrer dans d’ autres dimensions, nous mettent en contact avec des elfes, etc. Nous savons que le Web n’ a pas suffi à changer le monde, qu’ il y a une vie au-delà de l’ écran. La croyance des transhumanistes en la cryonie, en des concepts comme la Singularité, les décrédibilise fortement. Et personne, j’ en suis sûr, n’ a jamais fait tomber la pluie en se concentrant sur un « sigil »…
Les médias et les intellectuels branchés reviennent régulièrement sur cette idée de post-humanité. Et pourtant, qu’ est-ce qui nous différencie fondamentalement des générations qui nous ont précédées? En quoi l’ être humain de ce début de vingt-et-unième siècle est-il vraiment différent et plus évolué que nos précurseurs des siècles passés?
Je pense qu’ il y a plusieurs facteurs. Tout d’ abord, pour la première fois l’ homme est « plus grand que la terre »: nous comprenons enfin que notre planète est un « vaisseau spatial », comme disait Fuller. Cette découverte peut nous convertir à un écologisme extrême, passéiste, ou au contraire nous pousser à quitter cette enclave pour envahir l’ univers.
Dans les deux cas, le résultat est le même: la terre est devenue, petite, limitée, fragile: sa survie, son destin, dépend de nous et de nous seuls. Ensuite, il y a le problème de la mort. Pour la première fois notre compréhension de la biologie nous permet de la considérer comme un problème d’ ingénierie qui peut être résolu avec de l’ astuce et de l’ huile de coude. Cela ne signifie pas que l’ immortalité soit pour demain, ou même qu’ elle sera jamais possible. Mais nous entrons dans le temps où elle peut être envisagée. Ce changement de perspective est fondamental et transforme intégralement notre réflexion sur la condition humaine.
Enfin, il y a cette « accélération accélérante ». Jusqu’ ici, des générations entières vivaient sans connaître le « choc du futur », le changement radical de leur mode de vie et de leur conception du monde. Aujourd’ hui, notre génération a connu plusieurs de ces « chocs » et nos enfants en subiront plus encore.
“ Les gens me voient comme un geek, un technophile, mais honnêtement, je me suis davantage intéressé à l’ aspect humain de l’ équation, plus qu’ à la technologie”
Héraclite le remarquait bien sûr déjà, on ne se baigne pas deux fois dans le même fleuve, mais aujourd’ hui, il s’ agirait plutôt d’ un torrent tumultueux! Nous vivons dans un environnement infiniment plus liquide, plus instable que ne l’ ont connu les époques précédentes.
En quoi cela changerait-il notre condition humaine pour en faire une condition post-humaine? On ne peut que reconnaître l’ existence de cette“ accélération accélérante” dont tu parles, mais jusque-là, il ne s’ agit que de nouvelles conditions sociétales et environnementales auxquelles nous devons nous adapter, pas de changements profonds dans ce qui constitue l’ humain … L’ immense majorité de nos contemporains me semblent toujours aussi motivés par leur cupidité, leur ego ou un besoin irrépressible de se reproduire.
L’ une des idées lancées par Marshall McLuhan-à laquelle je souscris complètement- est que ce sont précisément les conditions environnementales, la culture matérielle et technologique qui déterminent pour une bonne part
La Spirale- Découvrez plus d’ articles sur: www. laspirale. org