Article par : et de soumission , ont évolué beaucoup moins vite . Malgré le réactionnarisme ambiant ( qui touche tant la gauche que la droite ), je reste convaincu que l ’ influence du mouvement des années 1960 va persister .
Penses-tu comme Richard Metzger et Douglas Rushkoff que la contre-culture n ’ existe plus parce qu ’ elle a gagné ? N ’ aurait-elle pas au contraire perdu la bataille en se faisant définitivement assimiler par le système ?
L ’ ambiguïté , la fin du manichéisme , me paraît être une caractéristique fondamentale de la complexité . Rushkoff et Metzger ont raison , à mon avis . Ce faisant , ils rétablissent la vieille notion « d ’ avant gard » qui avait été un peu vite discréditée . Quel autre but pour l ’ underground que devenir un jour « mainstream », même si cela a pour corollaire une certaine déformation , la perte d ’ une certaine pureté ? Le but n ’ est-il pas de changer les choses , au lieu de rester dans un splendide isolement ? Alan Watts disait que le zen pénétrerait en occident en infusant , lentement , comme le thé . C ’ est pareil pour les thèses de la contre-culture . Elles influencent doucement , discrètement , en devenant de plus en plus acceptables , souvent par l ’ intermédiaire de médias très populaires ( rock , bande dessinée , etc .) qui passent inaperçus des gardiens du Temple de la Culture . Elles se propagent à l ’ aide de « média virus », dirait Rushkoff .
Le rêve du Grand soir dans lequel toutes les valeurs se trouvent brusquement transformées me paraît largement dépassé . Les choses évoluent lentement , subtilement , et c ’ est tout aussi bien comme ça .
Les technologies de contrôle et de surveillance n ’ ont jamais été aussi élaborées qu ’ elles le sont actuellement . Peut-on réellement dire que nous sommes entrés dans l ’ ère du chaos ? Ne s ’ agit-il pas d ’ une énième tentative de manipulation , comme le dénoncent certains théoriciens de la conspiration ?
Je crois que l ’ intérêt de la complexité et de l ’ imprévisibilité qu ’ elle génère est qu ’ elle n ’ est pas dépendante d ’ une idéologie . Dans un monde complexe , toute action aura des conséquences inattendues . Il y a un dicton discordien que j ’ aime bien : « imposition de l ’ ordre = escalade du chaos ». Chaque tentative de surveillance , de manipulation crée des failles , des désordres nouveaux . Je ne serais pas surpris qu ’ une transparence absolue débouche sur un chaos total .
Les marges contemporaines regorgent aujourd ’ hui d ’ individus qui se définissent comme post-humains , transhumains , mutants ou vampires ( pour ne citer que ces quatre exemples ). Quelles sont à ton avis les causes de ces nouvelles quêtes identitaires ?
On dit souvent que la mondialisation , notre époque moderne , tend à uniformiser les comportements et les individus . L ’ existence de ces identités variées nous montre que la chose est bien plus complexe que cela . C ’ est vrai que l ’ uniformisation a lieu sur un certain plan , on consomme tous à peu près la même chose , nous possédons tous une vision globale du monde , basée sur la science ( et c ’ est vrai aussi de ceux qui s ’ obstinent à nier la valeur de cette dernière ), du moins en occident . Mais à un niveau supérieur , en « surcouche », nous élaborons de nouvelles cultures , « virtuelles », ce qui relance le processus de différenciation .
Au-delà de la « contre-culture », de la « cyberculture », l ’« autoculture » sera peut-être la grande affaire du prochain siècle . L ’ individu va chercher à se redéfinir lui-même , à se recréer . À terme , il possédera sa propre religion , sa propre éthique , sa propre tradition culinaire …
On assiste depuis les années 50 et 60 à un grand retour de l ’ ésotérisme , de la magie et des spiritualités non conventionnelles . À quoi attribues-tu ce regain d ’ intérêt pour les pratiques et les disciplines occultes ?
En fait , la situation est plus compliquée que cela , chaque époque a connu son regain , qui à chaque fois a surpris le grand public car ses manifestations étaient toujours nouvelles , ce qui empêchait de constater qu ’ on se trouvait , en fait , face à une continuité . Regarde le xviii e siècle , celui des lumières et de la raison triomphante : c ’ est celui du comte Cagliostro , des baquets de Mesmer , des opérations magiques de Jacques Cazotte et Martinez de Pasqually ; sans parler des illuminés de Bavière , dont on a jamais su au juste si la lumière qui les éclairait était celle de la divinité ou celle de la raison . Le xix e siècle , celui du rationalisme ?
C ’ est aussi celui d ’ Eliphas Levi , du spiritisme , de la Golden Dawn ou de la société théosophique . Le fait est que l ’ ésotérisme a toujours joué un rôle considérable dans les mentalités occidentales , mais celui-ci a toujours été discret , occulte justement !
En revanche , il y a quelque chose de nouveau aujourd ’ hui : une frange de l ’ occultisme a effectué un renversement épistémologique complet et ça c ’ est intéressant . Les nouveaux occultistes , ceux issus de la chaos magick , les discordiens , etc . reconnaissent et revendiquent le caractère fictionnel , fantaisiste de leurs idées et de leur pratique . Du coup , l ’ occultisme devient le terrain d ’ expérimentation de l ’ imagination la plus bridée .
Toute l ’ histoire de l ’ ésotérisme est truffée de faux et usage de faux , de canulars , de mensonges . Pour exemple le Corpus Hermeticum , les manifestes rose-croix , les messages des « mahatmas », les manuscrits falsifiés à l ’ origine de la Golden Dawn … Sans parler de Carlos Castaneda ! Mais jusqu ’ ici cela restait le sale petit secret de la famille , dénoncé par les sceptiques mais pudiquement ignoré par les « adeptes ». Aujourd ’ hui , les nouveaux magiciens revendiquent ouvertement leur recours à la fiction ; ils nient l ’ existence d ’ une « philosophia perennis », dogme fondamental de leurs prédécesseurs et affirment leur modernité , voir leur complet mépris de l ’ histoire . La magie devient , selon les mots d ’ Alan Moore : « Le trafic entre ce qui est et ce qui n ’ est pas . » On invoque Cthulhu , Bugs Bunny , Mr
ATYPEEK MAG # 02 JANV ./ FEV ./ MARS 2017 153
Article par :
et de soumission, ont évolué beaucoup moins vite. Malgré
le réactionnarisme ambiant (qui touche tant la gauche que
la droite), je reste convaincu que l’influence du mouvement
des années 1960 va persister.
Penses-tu comme Richard Metzger et Douglas Rushkoff
que la contre-culture n’existe plus parce qu’elle a gagné ?
N’aurait-elle pas au contraire perdu la bataille en se faisant
définitivement assimiler par le système ?
L’ambiguïté, la fin du manichéisme, me paraît être
une caractéristique fondamentale de la complexité. Rushkoff
et Metzger ont raison, à mon avis. Ce faisant, ils rétablissent
la vieille notion « d’avant gard » qui avait été un peu vite
discréditée. Quel autre but pour l’underground que devenir
un jour « mainstream », même si cela a pour corollaire
une certaine déformation, la perte d’une certaine pureté ?
Le but n’est-il pas de changer les choses, au lieu de rester
dans un splendide isolement ? Alan Watts disait que le zen
pénétrerait en occident en infusant, lentement, comme le
thé. C’est pareil pour les thèses de la contre-culture. Elles
influencent doucement, discrètement, en devenant de plus
en plus acceptables, souvent par l’intermédiaire de médias
très populaires (rock, bande dessinée, etc.) qui passent
inaperçus des gardiens du Temple de la Culture. Elles se
propagent à l’aide de « média virus », dirait Rushkoff.
Le rêve du Grand soir dans lequel toutes les valeurs
se trouvent brusquement transformées me paraît largement
dépassé. Les choses évoluent lentement, subtilement, et
c’est tout aussi bien comme ça.
Les technologies de contrôle et de surveillance n’ont jamais
été aussi élaborées qu’elles le sont actuellement. Peut-on
réellement dire que nous sommes entrés dans l’ère du chaos ?
Ne s’agit-il pas d’une énième tentative de manipulation,
comme le dénoncent certains théoriciens de la conspiration ?
Je crois que l’intérêt de la complexité et de
l’imprévisibilité qu’elle génère est qu’elle n’est pas
dépendante d’une idéologie. Dans un monde complexe,
toute action aura des conséquences inattendues. Il y a un
dicton discordien que j’aime bien : « imposition de l’ordre
= escalade du chaos ». Chaque tentative de surveillance,
de manipulation crée des failles, des désordres nouveaux.
Je ne serais pas surpris qu’une transparence absolue dé-
bouche sur un chaos total.
Les marges contemporaines regorgent aujourd’hui d’individus
qui se définissent comme post-humains, transhumains,
mutants ou vampires (pour ne citer que ces quatre exem-
ples). Quelles sont à ton avis les causes de ces nouvelles
quêtes identitaires ?
On dit souvent que la mondialisation, notre époque
moderne, tend à uniformiser les comportements et les
individus. L’existence de ces identités variées nous montre
que la chose est bien plus complexe que cela. C’est vrai que
l’uniformisation a lieu sur un certain plan, on consomme
tous à peu près la même chose, nous possédons tous une
vision globale du monde, basée sur la science (et c’est
vrai aussi de ceux qui s’obstinent à nier la valeur de cette
dernière), du moins en occident. Mais à un niveau supérieur,
en « surcouche », nous élaborons de nouvelles cultures,
« virtuelles », ce qui relance le processus de différenciation.
Au-delà de la « contre-culture », de la « cybercul-
ture », l’« autoculture » sera peut-être la grande affaire
du prochain siècle. L’individu va chercher à se redéfinir
lui-même, à se recréer. À terme, il possédera sa propre
religion, sa propre éthique, sa propre tradition culinaire…
On assiste depuis les années 50 et 60 à un grand retour
de l’ésotérisme, de la magie et des spiritualités non con-
ventionnelles. À quoi attribues-tu ce regain d’intérêt pour
les pratiques et les disciplines occultes ?
En fait, la situation est plus compliquée que cela,
chaque époque a connu son regain, qui à chaque fois a
surpris le grand public car ses manifestations étaient toujours
nouvelles, ce qui empêchait de constater qu’on se trouvait,
en fait, face à une continuité. Regarde le xviii e siècle, celui
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