GIW
journal étudiant
Gémiens
Vladimir Nabokov
LOLITA
Dans les années 60, Stanley Kubrick se lance dans l’adaptation
du roman Lolita de Vladimir Nabokov au cinéma.
Il est conscient qu’il devra habilement manier la caméra
s’il ne veut pas qu’en ressorte un mauvais film, mi-malsain
mi-érotique…
LOLITA c’est une histoire d’amour et de sexe entre
un beau-père et une gamine. Lolita, douze ans,
jolie, aguicheuse, insolente. Une « nymphette »
comme l’appelle son amant, entre la Nymphe et
la nymphomane, libre au lecteur de choisir son
camp. Vous allez me dire : « QUOI ? Comment
peut-on lire cinq cents pages (pour certains,
la question s’arrête ici…) qui traitent d’inceste
et de pédophilie ? ». C’est ici que commence
notre comparaison.
LOLITA c’est un récit interne. En passant par le
Google traduction de la littérature, cela signifie
que le récit est narré du point de vue de Hum-
bert Humbert, le beau-père amoureux, et c’est
notamment sur cette intériorité que repose la
force du roman : plongé au cœur des tourmentes
de l’amant, le lecteur prend de plein fouet la
violence des sentiments du personnage pour
sa belle-fille. Des sentiments passionnés, des
sentiments purs, car à aucun moment dans le
livre on ne décèle chez le héros une once de
pensée ou de plaisir pédophile, mais aussi un
profond sentiment de culpabilité. Le roman se
veut être, sous la plume de Nabokov, la longue
confession d’un amant qui se blâme, déchiré
entre sa passion pour une enfant et son dégoût
envers lui-même. Si on ne peut aller jusqu’à dire
que leur amour devient acceptable, ou même
compréhensible, on ne peut nier que le lecteur
soit touché par cette histoire. Cette intériorité,
et particulièrement ce mélange omniprésent
d’amour, de culpabilité et d’obsession, est ce qui
manque principalement au film de Kubrick. Le
réalisateur ne parvient pas en effet à retranscrire
le déchirement interne du héros. Aussi, l’amour
qui lie le beau-père à la jeune fille est moins
visible, moins tangible, moins bouleversant,
ce qui rend leur relation beaucoup plus déran-
geante. On ne peut néanmoins ôter à Kubrick
la grande subtilité dont il a su faire preuve, en
préférant un cinéma de suggestion (au moment
des scènes sexuelles par exemple) à un cinéma
d’exposition, faisant ainsi honneur à l’écriture
elle aussi suggestive de l’auteur.
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LOLITA c’est un récit interne comme je le disais.
Aussi, Lolita est comme transcendée, non seule-
ment par cette passion tellement adulte (que l’on
peine donc à envisager sous l’angle d’une relation
adulte-adolescent), mais aussi et surtout par le
regard que porte sur elle le narrateur : elle est
objet de désir, un fantasme, l’idéal inaccessible
de la femme fatale (il suffit de lire la description
qu’Humbert donne de ses jambes pour frôler
la crise de jalousie). Nabokov parvient ainsi à
faire oublier à son lecteur que la fille du récit
est une enfant : si son langage, ses attitudes, la
description de son corps évoquent sa jeunesse,
elle apparaît comme trop désirée et désirable
pour être imaginée comme une petite-fille. Cette
transcendance ne s’opère pas dans le film de
Kubrick, en dépit de quelques rares gros-plans
qui substituent habilement la femme à l’enfant.
C’est à la fois par-là que le film pèche, et par-là
qu’il trouve sa force : le spectateur ne peut plus
échapper à la réalité, Lolita a douze ans, elle
porte un appareil dentaire, de petites tresses
ATYPEEK MAG #02
JANV./FEV./MARS 2017
201