Article par :
On a toujours besoin de petits pois chez soi », disait un petit oiseau à la fin des années
60, au profit d’une campagne de communication collective. Plus énergétiques que
la majorité des légumes verts (81 cal/100 g), riches en vitamine C (25 mg/100 g), et
bénéfiques pour leur apport en sucres solubles, en lysine et en fibres, les petits pois con-
stituent effectivement une base d’alimentation parfaite. Le slogan est tellement éclatant,
se substitue si naturellement à la morale de La Fontaine « on a toujours besoin d’un plus
petit que soi », au pied près, qu’on en oublie presque la formule originale. Et comme
l’art du contre-pied est une constante en matière de publicité, quoi de plus efficace que
le gigantesque pour parler du minuscule.
L’Incroyable Hulk tirait-il sa couleur d’un régime alimentaire à base végétale ? Ou est-ce
simplement par malice que notre esprit aime déduire des caractères en se basant sur des
codes couleurs ? Vert de peur, vert de rage, vert comme l’espoir ou comme la putréfaction,
la couleur symbolise un vaste éventail de valeurs plus ou moins contradictoires. Mais
il est une contrée où les choses sont plus simples et moins équivoques : le Minnesota,
terre du Géant Vert.
Derrière le personnage, une grosse compagnie déjà séculaire : la Minnesota Valley Can-
ning Company, créée en 1903, à Le Sueur. Elle se destine essentiellement à la fabrication
de légumes en conserve, qu’elle commercialise sur le marché américain dès le début du
xx e siècle. En 1925, elle introduit dans sa gamme une espèce de petits pois plus grands
que de coutume, auxquels elle donne le nom emphatique de « green giant great big
tender peas ». Le positionnement commercial est de taille ; et pour allier le marketing
à la communication des atouts intrinsèques de son produit, elle se dote trois ans plus
tard d’une figure de style : The Green Giant. Le bien nommé Géant Vert apparaît donc
en 1928 dans la publicité. À deux détails près : il n’était pas vert et ne ressemblait pas à
proprement parler à un « géant » 01 . C’était plutôt une sorte d’ogre trapu aux cheveux
hirsutes, qui n’était pas sans rappeler quelque caricature sortie des contes de Grimm,
drapée dans un costume une pièce d’un style paléolithique, et dont les bras aux biceps
tendus peinaient à soutenir la masse encombrante d’une énorme gousse de petits pois.
Sans doute conscients qu’il lui manquait quelque chose d’édifiant vis-à-vis du produit
qu’il devait symboliser, les communicants de la compagnie eurent l’initiative deux ans
plus tard de marquer son physique d’une teinte plus à-propos, plus immédiate, qui
deviendrait sa signature : le vert.
Apparemment, l’innovation visuelle – aussi ambitieuse fût-elle – n’était pas tout à fait
à la hauteur des desseins de l’entreprise et du succès attendu. Si la mascotte avait bel
et bien été créée, elle ne parvenait pas en l’état à générer ce capital sympathie si cher
au monde de la communication. La Minnesota Valley Canning Company s’offrit alors
en 1935 les services de l’agence Erwin, Wasey & Co, et plus particulièrement de son
publicitaire talentueux : Leo Burnett. Il redressa le géant, troqua son vêtement animal
contre une parure de feuilles qui le rapprochait davantage de l’univers végétal dont il était
issu et, surtout, lui donna le sourire 02 . Renommé The Jolly Green Giant, le personnage
jovial et rassurant toucha en n sa cible, se trouva un public. En 1950, le Géant Vert était
devenu tellement populaire aux États-Unis que la firme en fit sa figure emblématique,
et changea de raison sociale au profit du nom de son icône en se rebaptisant The Green
Giant Compagny. Pour gagner en notoriété, les publicitaires décidèrent alors de s’emparer
du petit écran. Mais contre toute attente, les premiers pas du colosse à la télévision, en
1954, furent désastreux : incarné tour à tour par un homme peint en vert ou par une
marionnette aux gestes saccadés, le résultat ne parvint qu’à générer au mieux un senti-
ment d’étrangeté ; au pire d’effroi… Histoire de renverser la tendance, les grands moyens
furent déployés : on lui bâtit un décor où il puisse plastronner à sa mesure, paisible et
bienfaisant, droit comme un « i », les mains sur les hanches, protecteur et vigilant, là,
au milieu de la vallée ; et il reçut la parole, à travers la voix généreuse et grave d’Elmer
« Len » Dresslar Jr., lançant sur les monts et les vaux du Minnesota de longs et profonds
« Oh ! Oh ! Oh ! », à faire pâlir le Père Noël. Les téléspectateurs applaudirent enfin.
Kiblind N°47 - Découvrez plus d’articles sur : www.kiblind.com
01
04
OH ! OH ! OH !
—
En 1960, Géant Vert traverse l’Atlantique et arrive en France, en devenant la première
marque à commercialiser du maïs doux grâce à son unique boîte « L’Original ». À cette
même époque, la société lance ses premiers légumes surgelés : le bon géant s’adapte et
adopte une posture qui le protège du climat, tandis que sa garde-robe se voit embellie
d’une longue écharpe rouge destinée à le mettre à l’abri des vents frais qui soufflent sur
le marketing. Dans un autre contexte, on pourrait croire qu’il aurait été casté pour une
campagne Oscillococcinum… Mais non. Quant à son attitude définitive, celle qui l’a
rendu célèbre et iconique à nos jeunes années, elle a finalement été fixée en 1976, et
n’a guère bougé depuis. 03
Certes, dans les années 70, jugeant peut-être que le Géant Vert devait finir par se sentir
seul dans sa grande vallée, les responsables de la communication lui trouvèrent un
compagnon (au nom certainement plus euphonique avec l’accent d’origine) : Sprout
04 . Ce petit personnage, jeune « pousse » littéralement ingénue, n’était en réalité pas
seulement venu pour combler la solitude du grand, mais plutôt pour remplacer la
voix off en apportant une to