Droits de l’Homme dans le monde arabe
Réflexions sur la spécificité culturelle islamique
par Amine Thabet
On a souvent mis en exergue certaines expériences
démocratiques propres à certains pays musulmans,
bien plus qu’on ne s’est évertué à le faire pour les pays
arabes. Certes, certaines pratiques démocratiques,
dont notamment le suffrage libre, semblent mieux
ancrées et arrimées à certaines sociétés d’Islam, en
dehors de la sphère de l’Arabité. Les exemples de la
Turquie, de la Malaisie ou de l’Indonésie sont, à cet
égard, fort connus. Cependant, ce constat ne peut se
généraliser. Des expériences telles que celle iranienne,
pakistanaise ou afghane nous le prouvent aisément.
En outre, une certaine tradition démocratique signifie,
il est vrai, moins d’autoritarisme et plus d’ouverture,
mais elle ne s’accompagne pas nécessairement d’un
respect plein et effectif des droits de l’homme, d’une
culture des droits de l’homme. Cette tradition peut,
en effet, s’accommoder et cohabiter avec certaines
normes juridiques rétrogrades contraires aux droits
de l’homme.
En rapport avec les droits de l’homme, le clivage Arabité Versus Islamité ne nous semble pas pertinent. La
plupart des juristes s’accordent pour affirmer que le
référent juridique islamique, la Charia, demeure, à des
degrés variables, influent en matière de réception des
droits de l’homme par les Etats et systèmes où l’Islam
est la religion dominante, ou même importante. Des
dispositions constitutionnelles consacrent la Charia
comme unique source ou comme source principale du
Droit. La constitutionnalisation de la Charia demeure,
du reste, un débat vivace et passionnel. L’expérience
récente de l’élaboration de la Constitution tunisienne
en est une illustration. Dans certains systèmes, la
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Charia est source résiduelle et inspire la législation,
notamment celle pénale et celle relative à la famille
et au statut personnel. La Charia, source ou non du
Droit, influe sur la ratification et réduit l’applicabilité
des conventions internationales, universelles ou régionales, relatives à la protection des droits de l’homme.
En atteste, le nombre de réserves faites par les Etats
arabes et musulmans au nom du respect de la Charia,
ou de leur droit interne inspiré de la Charia.
de l’homme et des libertés fondamentales. Tout en
consacrant l’égalité juridique entre les hommes et
les femmes, l’article 3 de la Charte, mentionne, de
manière ambiguë, la «discrimination positive introduite au profit de la femme par la Shari’a islamique
et les autres lois divines». Les références explicites à
la Charia, contenues dans la Déclaration des droits de
l’homme en Islam, adoptée en 1990, dans le cadre de
l’Organisation de la conférence islamique, démontrent
clairement le rapport problématique du référent normatif islamique aux droits de l’homme.
Spécificité culturelle, argument relativiste, le référent normatif islamique peut-il coexister avec un
ordre juridique garantissant pleinement les droits de
l’homme et les libertés fondamentales ? Les causes
profondes de la laborieuse réception des droits de
Droits de l’Homme et Charia
La Charte arabe des droits de l’homme, largement
critiquée, adoptée dans le cadre de la Ligue arabe,
représente un exemple de la défiance à l’égard d’une
reconnaissance et d’une garantie complète des droits
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