À suivre le parcours de Malcolm de Chazal, on pourrait penser que rien ne le prédestinait au riche bouillonnement artistique qui le caractérise. Né en 1902, il grandit dans le centre de l’ île, l’ un des phares de son inspiration ultérieure, avant de partir étudier l’ ingénierie sucrière à Bâton Rouge, en Louisiane, en 1918. À son retour, en 1923, c’ est le choc.
En cinq ans, l’ île Maurice a bien changé. Il se heurte au statu quo d’ une industrie sucrière désuète, et ne compte pas rester silencieux. « C’ est à ce moment qu’ il signe sa première incursion dans le monde littéraire, par une série d’ articles économiques et politiques au vitriol, accompagnés d’ analyses chiffrées sur le secteur sucrier. On découvre ici, pour la première fois, l’ humaniste qu’ il restera toujours », dit Robert Furlong, président du Centre culturel d’ expression française de Maurice.
Cette révélation aboutit à l’ un des plus importants chefs-d’ œuvre de Chazal: Petrusmok. « Petrusmok est un essai à plusieurs entrées pour pénétrer, à travers le mythe de la Lémurie, une autre facette de ce monde insulaire », souligne Robert Furlong. Le regard de cet amoureux de son pays se transforme à la recherche de signes, livrant une nouvelle façon d’ appréhender l’ île, trésor invisible, dissimulé par le vernis d’ une réalité acceptée par tous.
Célébré par les surréalistes français, séduits par ces écrits lumineux qui viennent éclairer les temps douloureux d’ après-guerre, Malcolm de Chazal brise une fois et pour toutes avec l’ île Maurice romantique de Bernardin de Saint-Pierre. En véritable écosophe, c’ est l’ amour de la Nature – doublé de celui de la vérité – qui exsude de ses écrits, au-delà de la relecture constante de son pays.
« Après Petrusmok, Chazal connaît une certaine errance littéraire », dit-il. Une errance qui le porte brièvement vers le monde du théâtre, et prend fin lorsqu’ il découvre la peinture. « Il trouve là ce qu’ il cherchait depuis des années: son écriture est picturale, lui permettant d’ aller encore plus loin dans sa pensée », continue Robert Furlong.
S’ inspirer
Au début des années 1940, les réflexions de Chazal se parent de philosophie, et même de mysticisme. « Son premier ouvrage purement littéraire, Pensées, publié en 1940, appelle à la remise en question des idées reçues, et propose de nouvelles façons de réfléchir à l’ amour, à la spiritualité ou encore au rôle de chacun dans le tissu social », poursuit-il. Connu pour sa frénésie créatrice, l’ écrivain va toujours au bout de sa pensée.
« Il produit mille aphorismes qui aboutiront à son incontournable Sens Plastique, en 1947. On sent déjà là un essoufflement; Malcolm de Chazal est ainsi: lorsqu’ il a tout livré de lui, il le clôt », explique Robert Furlong. C’ est au cours d’ une conversation avec le poète Robert Edward Hart et le peintre Hervé Masson qu’ il découvre un mythe qui bouleversera sa pensée: celui de la Lémurie. Tout part d’ une idée surprenante, portée notamment par le poète et homme politique réunionnais Jules Hermann: sous les Mascareignes se trouverait un continent englouti ayant abrité une civilisation avancée, dont les vestiges se cachent aujourd’ hui encore dans la façon dont sont sculptés les paysages de la région.
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