ACTES FIAPA | Page 64

maison . Nous redescendons à pied la route qui mène à la nationale principale . Cela n ’ est pas possible autrement . Tout est très périlleux car les câbles d ’ électricité trainent un peu partout . Il y a un calme , une absence de bruits familiers qui dérangent .
Pour des raisons que je n ’ arrive pas à m ’ expliquer , j ’ étais , jusqu ’ à l ’ arrivée à la route nationale , persuadée que nous pourrions atteindre la cité administrative en faisant du stop !
Un fois arrivée à la grande route , l ’ ampleur de la catastrophe nous a assommés . Aussi loin que porte mon regard , ce n ’ est que dégâts et détritus . La nature , d ’ habitude verdoyante , est marron . Nous ne parlons pas car nous sommes dans un état de sidération commun . Les voisins qui émergent de leurs habitations sont dans le même état . Je ne sais pas combien de temps nous sommes restés là .
Des militaires nous adressent la parole . Ils sont à la recherche de la préfecture qui ne répond pas aux appels ni à la radio . Ce sont des légionnaires qui viennent de Guyane . Ils ont été parachutés car l ’ aéroport , en tout cas les pistes d ’ atterrissage , ne sont plus en état de fonctionner . Après les présentations d ’ usage , nous décidons de les accompagner car il n ’ existe plus aucun repère visuel pour se guider .
Nous mettrons près de 4 heures pour parcourir un peu moins de 5km . Par endroit , la route n ’ existe plus .
Il est à peu près 19 heures quand nous arrivons à la préfecture : ce n ’ est plus qu ’ un tas de gravats . À la lueur des lampes torches et des appels vocaux , une voix se fait entendre . Les 150 gendarmes et la Préfète sont sous les décombres . L ’ armée s ’ organise pour les sortir un par un . Je suis mandatée pour aller chercher les secours à l ’ hôpital , à 2km de là . Je pars avec 5 militaires afin de ramener du matériel et , si possible , du personnel soignant .
L ’ hôpital a perdu son toit . Le toit de la psychiatrie , qui se trouve plus haut , gis à l ’ envers sur ce qu ’ il reste du CMP . Les patients se trouvent dans le réfectoire . Nous sommes le 6 septembre et le visage de l ’ île a changé .
Le 7 septembre , le déblayage des routes commence : la priorité est de pouvoir transporter les blessés . Il n ’ y a pas d ’ eau courante , pas d ’ électricité et cela va durer 40 jours .
Le 8 septembre , un bref état des lieux est fait . Il nous manque plus de 60 % des professionnels médico sociaux . Les voies ne sont pas dégagées et certaines personnes sont bloquées chez elle .
L ’ hôpital abrite les médecins qui l ’ ont rejoint . La mise en place d ’ une bâche provisoire est en cours .
Les réserves d ’ eau de la ville sont de 40 000 litres . Les réservoirs sont fendus et l ’ usine à eau qui permet de dessaler l ’ eau de mer , a été emportée par les flots , ainsi que la centrale électrique et les réserves de matériel de la ville . De cette zone en bord de mer , il ne reste qu ’ un vaste terrain vague avec des tuyaux qui traînent . Les stations-service ont toute perdu leur pompe . Un peu partout , nous retrouvons du carburant . Le centre de dialyse est sous l ’ eau . Les chambres mortuaires sont éventrées . L ’ EHPAD a perdu son toit , ses balcons , ses fenêtres , sa clôture d ’ enceinte et une partie de sa cuisine .
On estime que 95 % du bâti a été fortement impacté . Ce chiffre sera revu à la hausse pour atteindre 98 %.
Les écoles sont ravagées . Celles qui restent se comptent sur les doigts d ’ une main . 70 % des abris cycloniques qui ont servi de refuges ont été impactés , certains totalement rasés . Des personnes ont forcé les portes du lycée général , nouvellement construit , pour s ’ y abriter .
Le centre de stockage des médicaments de l ’ île , qui fournit les pharmacies et l ’ hôpital , s ’ est effondré et les médicaments trempent dans l ’ eau souillée .
Nous sommes le 9 septembre et se tient alors la première réunion de crise après l ’ ouragan . Par ordre d ’ urgence , nous décidons de faire quitter l ’ île :
� Tous les dyalisés ; � Tous les greffés ; � Toutes les femmes enceintes ; � Tous les enfants malades ; � Toutes les personnes âgées souffrant de pathologies ; � Toutes les personnes handicapées .
Les évacuations se feront par l ’ aéroport de la partie française avec une rotation de 48 et 78 places . Un point de filtrage sera établi à l ’ entrée de l ’ aéroport .
C ’ est une belle lettre d ’ intention mais qui , dans l ’ ensemble , ne va pas se faire si facilement . Je suis la seule référente « personne âgée / handicapée ». Malgré l ’ aide , je ne peux pas me démultiplier . Les personnes venues nous aider ne parlent pas
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