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3 perspectives

SORTIR DU CADRE

L e hasard nous joue souvent bien des tours . Car parler de « sortir du cadre » au moment où la population française , comme tant d ’ autres , sort d ’ une longue période de confinement , peut paraître opportuniste . Il n ’ en est rien . Cela devrait être un objectif à long terme de notre démarche éducative par le compagnonnage . Accompagner un jeune , c ’ est l ’ aider petit à petit à sortir du cadre . Or , trop souvent et sans doute par facilité , nous nous organisons pour que tout le monde reste bien à la place qui lui a été prévue . Et qui ne s ’ y trouve pas bien est « recadré » ou prié d ’ aller voir ailleurs …

Sortir du cadre présuppose qu ’ il y en ait un . Et tant mieux , car ce cadre est absolument nécessaire pour la construction de l ’ adulte en devenir et pour le bon fonctionnement des hommes ensemble . Qu ’ il s ’ appelle « loi », « code », « règlement » ou « conduites à tenir », peu importe : il a partout la même fonction . Sauf que , par manque de pédagogie ou par comportement individualiste , ce cadre est souvent compris comme une contrainte , une obligation arbitraire , une injustice ou que sais-je encore . Et de brandir l ’ excuse à deux sous qui consiste à se dire n ’ être pas au courant ou , pire : « On ne m ’ a pas demandé mon avis ». Bref , il est vécu comme une atteinte à la liberté . Vu comme cela , l ’ on peut comprendre l ’ utopie anarchiste !
La notion de cadre est souvent associée à une forme de rigidité souvent mal appréciée . Pourtant équipés d ’ une caisse à « outils vertueux », dont celui de la discipline , les Compagnons ont eux aussi du mal à l ’ accepter . Arguant que le
Compagnon est un homme libre , tout ce qui est présenté comme obligatoire lui est insupportable . Et pourtant , que de cadres , interdictions et autres obligations chaque corps de métier a rajoutés au règlement intérieur de l ’ association dans le parcours des jeunes , évidemment pour leur bien … Et là aussi , à part quelques exceptions , ou l ’ itinérant s ’ y plie ou il nous quitte .
UN COMPAGNON EN FIN DE TOUR DE FRANCE NE DEVRAIT PAS AVOIR LE MÊME CADRE QU ’ UN JEUNE DE 18 ANS QUI DÉBUTE DANS LA VIE DITE « ACTIVE ».
Mais tout cadre , tels les textes de loi , est d ’ abord le moyen de protéger les personnes de toutes sortes de dérives . Il permet aux hommes , quelle que soit la taille de leur communauté , de fonctionner ensemble . Imaginons la circulation automobile sans le cadre qui la régit , le code de la route ! Même dans des pays où la version internationale n ’ est pas respectée , d ’ autres règles , souvent non-écrites mais légitimées par l ’ usage , prennent le relais . La première fonction d ’ un cadre est de protéger et donc de rassurer . Et plus on est fragile , plus on a besoin d ’ être protégé et rassuré .
C ’ est la raison pour laquelle le jeune enfant a besoin d ’ un cadre au périmètre très réduit . Celui-ci augmente progressivement en fonction de son apprentissage de la vie , et donc de la compréhension du bien-fondé de ces limites imposées par d ’ autres , jusqu ’ à participer au débat qui permet de fixer ensemble les règles de la communauté qui l ’ accueille , comme le font les itinérants en début d ’ année , certes encore sous l ’ autorité bienveillante de plus adultes qu ’ eux . Comprendre plutôt que subir . Il est mille fois plus facile de formater un jeune que de lui apprendre à raisonner par lui-même , ce que dans ses Essais Michel de Montaigne exprimait à sa façon : « J ’ aime mieux façonner mon esprit que le meubler ».
Pourquoi avons-nous tant de mal à accepter un cadre à géométrie variable ? Si le rôle principal du cadre est bien de protéger , alors il devrait pouvoir s ’ élargir au fur et à mesure de l ’ acquisition de l ’ assurance , de l ’ autonomie et de la responsabilité , non ? Un Compagnon en fin de Tour de France ne devrait pas avoir le même cadre qu ’ un jeune de 18 ans qui débute dans la vie dite « active » ( celui des mineurs a son périmètre bien défini par la loi ).
Mais l ’ on s ’ en défend de peur de devoir accorder à tous ce que l ’ on concèderait à un seul . Les jeunes eux-mêmes vivent comme une injustice toute différence de cadre entre eux . L ’ on met en avant ce très respectable souci d ’ égalité : pareil pour tout le monde , pas de passe-droit et qui n ’ entre pas dans le cadre s ’ exclut ou en est exclu . N ’ est-ce pas plutôt le souci d ’ équité qui devrait prévaloir ? L ’ on confond souvent les deux : l ’ égalité c ’ est donner à tous les mêmes moyens ;
# 297 / Juin 2020